2.4.04

IRIS, Institut de Relations Internationales: Ainsi, selon l'auteur, les affrontements entre civilisations constituent la dernière phase dans l'évolution des conflits. Ces derniers opposaient auparavant princes et rois, puis les nations entre elles après la Révolution française. Au XXe siècle, les guerres se sont déroulées entre idéologies antagonistes (fascisme, nazisme, communisme, démocratie). Au XXIe siècle, les guerres se feront entre les civilisations, à savoir principalement entre la civilisation occidentale, dominante, et la civilisation musulmane, en expansion et contestant cette domination. ...Deux erreurs sont fréquemment commises en rapport avec cette théorie. La première est de croire à son inéluctabilité(…). Il n'y a pas plus d'automaticité ou de déterminisme de conflit entre les civilisations qu'il y en a entre les Etats(…). L'affrontement entre musulmans et occidentaux n'est donc pas écrit à l'avance. Le risque est d'ailleurs de transformer cette idée en prophétie autoréalisatoire (self-fulfilling prophecy) : à force d'en parler comme d'un événement qui doit nécessairement se produire, on facilite les conditions de sa survenance(…).
IRIS, Institut de Relations Internationales: Il y a deux facteurs d'affaiblissement des Etats-Unis, le premier est d'ordre économique avec les déficits jumeaux budgétaires et commerciaux, sans parler de la baisse du dollar. Mais celui qui est peut-être le plus important, c'est le déclin de la popularité américaine. Ils sont à la fois une hyper puissance et hyper impopulaire du fait justement de leur unilatéralisme. Dans un monde globalisé où la puissance c'est également l'image le soft power et la popularité cela peut avoir un coup extrêmement important. Or plus les Etats-Unis basent leur politique sur leur hard power, plus ils affaiblissent leur soft power.
IRIS, Institut de Relations Internationales et Strat?Dgiques:La France depuis la Vème République veut toujours maintenir une autonomie stratégique qui n'a pas toujours été bien perçue ni même comprise par Washington....Quant à l'anti-américanisme français, je crois qu'il s'agit d'un faux débat ou qu'on mélange plusieurs choses. Il y a bien sûr un anti-américanisme traditionnel qui peut venir à la fois de l'extrême gauche - l'anti-capitalisme - et de l'extrême droite - anti-démocratie -. Mais traiter d'anti-américanisme le mouvement qui s'opposait à la guerre d'Irak me paraît un peu court. C'est la politique de George W. Bush qui a été critiquée comme elle l'est d'ailleurs non seulement en France mais dans l'immense majorité des pays du monde quel que soit l'attitude de leur propre gouvernement. ..La collaboration entre Paris et Berlin est bien ancienne, on parlait déjà dans les années 80 " d'alliance dans l'alliance ". Ce qui est nouveau c'est qu'auparavant lorsque l'Allemagne devait choisir entre une solidarité européenne et une solidarité atlantique, elle choisissait la seconde du fait de sa dépendance en terme de sécurité à l'égard de Washington. Elle est désormais libre de faire valoir son choix européen... L'unilatéralisme américain n'est pas né avec George W. Bush. C'est bien sous Clinton que les grands textes internationaux, de la convention de Kyoto à la Cour pénale internationale en passant par le traité d'interdiction totale des essais nucléaires ont été refusés par les Etats-Unis. L'unilatéralisme américain ne disparaîtra pas avec George W. Bush. Simplement un président démocrate pourra être plus conciliant plus ouvert et être plus à l'écoute des pays européens. Mais penser que l'élection d'un démocrate à la Maison Blanche aplanirait toutes différences entre Paris et Washington est illusoire. Elle les réduira, elle ne les effacera pas totalement.

30.3.04

C & C | Le nouveau paradigme de la violence (Partie 1) Le déclin du mouvement ouvrier et la perte de centralité des rapports de production industriels rendent improbables l'idée d'un lien entre d'importantes violences sociales et l'insertion de leurs acteurs dans un conflit structurel de classe, au sens habituel de l'expression. Ce n'est plus la lutte contre l'exploitation, le soulèvement contre un adversaire qui entretient avec les acteurs une relation de domination, mais plutôt le non-rapport social, l'absence de relation conflictuelle, l'exclusion sociale, éventuellement lestée de mépris culturel ou racial, qui alimentent aujourd'hui partout dans le monde, y compris en Europe occidentale, des conduites émeutières ou une violence sociale plus diffuse, portée par la rage et les frustrations.
Terrorisme de destruction massiveMais on peut se demander si les attentats-suicides du 11 septembre 2001 aux États-Unis n'inaugurent pas une nouvelle période : celle où des groupes non étatiques acquièrent la capacité de perpétrer des massacres à grande échelle en pratiquant un terrorisme de destruction massive- ce que certains experts redoutent déjà depuis plusieurs années, notamment après l'attentat au gaz sarin par les membres de la secte Aum, dans le métro de Tokyo en 1995.
Avant-propos: Faut-il penser la violence, pour l'essentiel, en termes de crise, de décomposition, de chaos, ou y rechercher aussi, éventuellement, la marque du sujet, l'effort perverti ou impossible d'acteurs cherchant à exister ou à être reconnus ? ...l'élément le plus spectaculaire du renouveau de la violence aujourd'hui est donné par la montée en puissance des références de ses protagonistes à une identité ethnique ou religieuse. Celles-ci constituent une ressource culturelle éventuellement mobilisée de manière violente à des fins politiques, elles alimentent parfois aussi une barbarie homicide allant aux extrêmes, bien au-delà d'enjeux simplement politiques.

29.3.04

L'impossible cartographie du terrorisme: Il existe un moyen efficace de délégitimer le combat de l'autre, c'est justement de l'appeler terroriste. En effet, le terme de terroriste devient entre les adversaires directs, une arme dans un combat symbolique au moins aussi important que le combat militaire au sens strict. Si l'on arrive à convaincre les tiers que l'autre est le terroriste, alors ils se mobiliseront sans doute en votre faveur, renversant ou approfondissant le rapport de force dissymétrique qui lie l'organisation clandestine et ses éventuels parrains aux pouvoirs publics d'un État donné. Essayant de s'appuyer sur le sens commun, on qualifiera sa violence de réponse à l'agression barbare et terroriste ou à l'oppression feutrée et permanente que subissent les tiers. C'est en leur nom que l'on combat l'autre. On voit à quel point l'usage du terme terroriste ne peut être neutre, il a une valeur polémique, "polémogène" : il sert plus qu'à qualifier, à disqualifier la violence de l'autre....Celui n'est plus humain, c'est un barbare, un sauvage, un "porc"… qui s'attaque à des innocents sans raison valable et qui doit donc être combattu sans merci, sans pitié, par toutes les méthodes. Ainsi la violence terroriste est définie d'une autre manière : c'est celle de l'autre, de l'adversaire, de l'ennemi du genre humain. A contrario, sa propre violence n'est qu'une réponse légitime à une telle agression. Le mécanisme accusatoire, lorsqu'il fonctionne bien, non seulement délégitime l'usage de la violence de l'adversaire, mais purifie, sanctifie la "réponse". Les États ont bien compris l'avantage qu'ils pouvaient tirer d'un tel mécanisme, et si les États de droit sont soucieux de ne pas en profiter pour criminaliser toute opposition, il n'en va pas de même pour certains gouvernements qui, usant eux-mêmes de la violence envers leur population, accusent leurs opposants armés d'être des terroristes et ont souvent le soutien d'autres États pour des raisons de géopolitique et d'intérêt bien compris.

28.3.04

Réformer:Renforcer l'autorité de la gouvernance mondiale, dans le respect du pluralisme, c'est la fonder sur une représentativité élargie. Ouvrir le G7-G8, réformer le Conseil de sécurité des Nations Unies ou inventer une autre formation, plusieurs solutions sont envisageables, mais aucune ne sera satisfaisante si elle manque d'associer aux pays les plus développés, une représentation équilibrée de tous les continents à travers les puissances émergentes et les pays les plus pauvres selon des formules à négocier (membres permanents et provisoires, sélection en fonction d'indices pondérés : PNB, population, contribution). ...Il faut réviser la carte du multilatéralisme. Non seulement, certaines institutions sont manquantes (sur l'environnement), mais la plupart demandent une meilleure coordination. Si l'efficacité commande de centrer les tâches sur des missions clairement délimitées, elle exige aussi une complémentarité bien ordonnée....Le débat sur une nouvelle architecture institutionnelle au plan mondial est engagé. Entre les engagements sélectifs et perturbateurs de la puissance américaine et les contestations radicales de la gouvernance mondiale, la voie de la réforme est la seule option réaliste. Le multilatéralisme n'est pas la loi d'airain de la diplomatie moderne ; c'est une méthode qui peut défaillir parce que c'est d'abord un projet qui demande une volonté politique. Ce sont les Etats qui ont le plus à y gagner qui seront ses principaux soutiens : celles des puissances qui ne sont ni trop faibles ni trop fortes pour vouloir une coopération profitable.
Le multilatéralisme doit se réformer: C'est donc moins sur le principe de la concertation internationale qu'il faut s'interroger que sur ses formes. Mais les deux questions sont indissociables. Le renforcement institutionnel est patent depuis le XIXème siècle mais il a probablement atteint certaines limites en termes d'efficacité et de légitimité. La dispersion des institutions, la contestation de leur représentativité et l'imprécision de leurs missions ont amorcé une « crise du multilatéralisme » qui ne se réduit pas aux défections américaines. ...Pour retrouver ses fonctions ordonnatrices et régulatrices, le multilatéralisme doit se réformer. C'est aussi un moyen de remobiliser ses soutiens, d'y associer les mouvements de « l'opinion mondiale » et de neutraliser, autant que faire se peut, les tentations unilatérales.
Les Etats-Unis: Si l'engagement multilatéral n'est pas une nécessité, l'orientation multilatéraliste de la coopération internationale est une probabilité. La croissance du nombre des organisations internationales et le développement de leurs compétences sont désormais un fait acquis. Des avancées et des reculs sont toujours possibles, mais il paraît difficile de revenir sur ce phénomène massif et de faire comme s'il ne produisait aucun effet. La prolifération multilatérale encouragée par nombre d'Etats et confortée par les mobilisations de plus en plus fréquentes des « sociétés civiles » ont dessiné le paysage de notre modernité. Les Etats-Unis ou, plus exactement, une administration américaine à un moment donné, peuvent freiner le mouvement mais non le stopper. Dans un monde de 192 Etats, d'acteurs non gouvernementaux multiples et de réseaux transnationaux divers, des structures d'échange et de coopération sont inévitables. Les motifs de confrontation et de conflit le sont tout autant. L'ensemble pousse à des formes de concertation pour résoudre les problèmes d'intérêt commun : la « gouvernance mondiale » évoque ces différents modes de pilotage de l'action collective au plan international. Le flou de la notion a fait sa fortune .
Les Etats-Unis: Ici, le multilatéralisme est considéré comme inévitable : il ne se présente plus comme un choix mais comme un fait auquel les Etats ne peuvent échapper, comme une nécessité [20]. Comme le suggère Ed Luck, la question relève moins d'un jugement de valeur que d'un constat selon lequel la distance à l'égard des organisations internationales (et du multilatéralisme) est devenue « dysfonctionnelle » pour le leadership et les intérêts américains eux-mêmes [21]. A contrario, le multilatéralisme serait globalement fonctionnel pour le plus puissant des pays mais également pour les autres.
Les Etats-Unis:Malgré tout, la succession des présidents Reagan, Carter, G. H. Bush et Clinton maintiendra un « multilatéralisme de raison » résumé par la formule de Madeleine Albright : « Multilatéraux quand nous le pouvons, unilatéraux quand nous le devons »
Etats-Unis:A la veille de l'élection du président G. W. Bush, seule une minorité soutenait le retrait des Etats-Unis des Nations Unies (15% en 2000) tandis qu'une majorité des 2/3 partageait le point de vue selon lequel les Etats-Unis devaient chercher à régler les problèmes internationaux en coopération avec les autres pays [11]. Cette opinion, d'autant plus positive que les enquêtés sont diplômés et dotés de revenus élevés, s'étend à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou la Cour pénale internationale (CPI) et, plus généralement, à toutes les institutions multilatérales.
Les Etats-Unis: Quelle que soit la qualification que l'on retienne, les Etats-Unis se présentent comme un acteur majeur des relations internationales depuis le XIXème siècle : « grande puissance » jusqu'en 1945, l'un des deux « Super Grands » de l'ordre bipolaire jusqu'en 1989 et « puissance hégémonique » depuis. Les capacités exceptionnelles du pays dans quelques secteurs clés (économie, défense, finance, recherche) [8] lui permettent de définir un bon nombre de règles du jeu international ou, à tout le moins, de ne pas se les faire imposer. Cette situation tend à faire du multilatéralisme un choix optionnel. Si les bénéfices attendus de l'engagement multilatéral ne sont pas négligeables (partage des risques, stabilité des règles, prévisibilité des conduites, légitimité), ils sont toujours mis en balance avec ses contraintes (limitations de souveraineté, atteintes à certains intérêts sectoriels, lenteur des décisions). Tous les Etats se livrent à un calcul de cette sorte, mais les Etats-Unis, plus que d'autres, ont les moyens d'explorer des solutions alternatives, bilatérales et unilatérales. C'est le privilège de la puissance d'avoir une palette d'options plus étendue. Mais c'est aussi une occasion de dilemmes lorsqu'il s'agit de savoir comment utiliser au mieux cette puissance.
Système multilatéral: l'avenir du multilatéralisme ne se réduit pas aux décisions des Etats-Unis ; il se jouera aussi dans les évolutions du système multilatéral lui-même et, tout particulièrement, dans sa capacité ou non à se réformer.
L'avenir du multilatéralisme: "Cette position apparemment contradictoire n'aurait pas grande importance si les Etats-Unis n'occupaient pas une place prépondérante dans les relations internationales. Bien des Etats entretiennent des relations ambivalentes avec le multilatéralisme : tantôt prêts à jouer le jeu de la coopération multilatérale, tantôt en retrait voire en rupture avec les instances multilatérales et leurs décisions. Leurs engagements ou leurs défections ne sont pas négligeables, mais ils pèsent en proportion de leur capacité à influencer le cours des événements internationaux. Il en va de même pour les Etats-Unis dont la puissance donne, par conséquent, un tour crucial à leurs engagements, leurs non-engagements ou leurs ruptures d'engagements : si les Etats-Unis peuvent être le moteur du multilatéralisme, ils peuvent en être également le frein.