11.8.05

Le grand tournant de Washington: Dans un monde pluriel, il est manifestement illusoire de songer à un monopole. Les Etats-Unis ont beau être le pays dominant du système international, ils sont pris, de plus en plus, dans les filets d’une dépendance qui est de leur propre fait : tout en contribuant à soutenir l’activité économique asiatique, le mode de consommation et le niveau de vie américains doivent, pour se perpétuer, absorber des volumes toujours plus importants de l’épargne mondiale (80 % à l’heure actuelle). Ce phénomène ne pourra pas durer.
Le grand tournant de Washington: L’un et l’autre menacent la stabilité du monde : le premier en encourageant la prolifération nucléaire, et le second en attisant une nouvelle course aux armements dans l’espace. Dans l’esprit de l’administration, semble-t-il, la Chine et la Russie, considérées comme futures puissances rivales respectivement régionale et mondiale, n’auront d’autre choix que de suivre le mouvement et de consacrer à des dépenses militaires des ressources, limitées, qui seront détournées de l’économie nationale, ou d’accepter la suprématie stratégique potentielle de Washington. L’interlude de coopération entre les Etats-Unis et ces deux pays dans le cadre de la « guerre mondiale contre le terrorisme » est terminé.
Le grand tournant de Washington: On en voit des signes dans plusieurs domaines (16), mais le phénomène se manifeste tout particulièrement dans la volonté américaine de plus en plus affirmée de parvenir à une suprématie militaire absolue et sans fin. Deux décisions gouvernementales récentes illustrent cette volonté : celle de développer des armes nucléaires miniaturisées de première frappe et celle d’adopter une stratégie spatiale dite de frappe globale (global strike). Ce programme de militarisation de l’espace doit être bientôt annoncé. Son objectif est d’« établir et de maintenir une supériorité spatiale » des Etats-Unis en les dotant de la capacité, à partir de l’espace, de « détruire des centres de commandement ou des bases de missiles n’importe où dans le monde ...Ces deux programmes s’inscrivent dans le droit-fil de la doctrine de la suprématie stratégique perpétuelle esquissée dans la stratégie de sécurité nationale de la Maison Blanche (2002), et de la reconfiguration des forces armées américaines à laquelle avait appelé auparavant Mme Condoleezza Rice afin de « faire face de manière décisive à l’apparition de n’importe quelle puissance militaire hostile (...) et de réagir de manière décisive aux régimes voyous et à la menace venant de puissances hostiles ».
Le grand tournant de Washington: En revanche, l’administration Bush n’a eu pour seul objectif, depuis qu’elle est en place, que de renforcer le « pouvoir par la force » du pays et de mobiliser les forces armées américaines afin d’établir un ordre mondial disciplinaire sous contrôle monopolistique. Comme Mme Condoleezza Rice l’indiquait clairement avant l’élection de 2000, le bloc de forces rallié à M. George W. Bush avait l’intention de se libérer d’une « communauté internationale illusoire » et de jeter bas le paradigme libéral en abandonnant la politique d’internationalisme hésitant des années 1990 pour le nationalisme, la force et la guerre
Le grand tournant de Washington: Alors que la composition et la politique de l’administration William Clinton reflétaient, du moins en partie, les intérêts de cette classe cosmopolite, réduite mais influente, l’élite de droite actuellement au pouvoir représente le complexe militaro-industriel, c’est-à-dire le secteur le moins autonome et le plus nationaliste de l’économie politique américaine. Le moins autonome, car, étant fondu dans l’Etat, son existence et son développement dépendent de l’Etat. Le plus nationaliste, car il cherche par définition à maximiser la puissance nationale. Ces deux fractions dirigeantes s’appuient chacune sur une large base sociale. Comme l’a clairement montré la répartition géographique du vote à l’élection présidentielle de novembre 2004, l’assise sociale des internationalistes libéraux est concentrée dans les zones urbaines côtières à forte densité démographique, alors que la principale base populaire du nationalisme et du militarisme se trouve dans les zones rurales, parmi les classes populaires et moyennes, au cœur du pays.
Le grand tournant de Washington: Mais contrairement à la Grande-Bretagne, qui perdit le contrôle qu’elle exerçait, les Etats-Unis ont choisi de déconstruire le système institutionnel international. Comme l’écrit Stanley Hoffmann : « Les Etats-Unis veulent soit revenir aux conditions d’avant 1914 (...), ou alors, se considérant comme le gardien de l’ordre mondial, laisser les autres Etats supporter leurs contraintes actuelles en se réservant pour leur part le droit de choisir parmi les contraintes du droit et des institutions internationales celles qui servent leurs intérêts et de rejeter toutes les autres. » Dans les deux cas, il s’agit ni plus ni moins pour les Etats-Unis de déconstruire les cadres de la coopération multinationale mis en place après 1945 pour introduire « un peu d’ordre et de modération dans la jungle des conflits internationaux traditionnels (12) ».
Le grand tournant de Washington: Cependant, l’affirmation d’un « nationalisme (américain) robuste », ainsi que Samuel Huntington – le propagateur du « choc des civilisations » – appelle le nouvel ethos des Etats-Unis, a fondamentalement bouleversé la trajectoire des affaires mondiales : la mondialisation libérale et l’interdépendance capitaliste ont été supplantées par une politique de puissance impériale s’affirmant comme telle. Tout comme Londres avait été au XIXe siècle le centre de l’expansion d’une économie de marché maintenue par un ordre politique et renforcée par des réseaux transnationaux ayant intérêt à ce que la paix règne en Europe (11), la poursuite de la mondialisation au XXIe siècle requiert de la part des Etats-Unis qu’ils continuent à soutenir à la fois un système de coopération institutionnalisée entre Etats et des régimes libéraux de gouvernance de l’économie mondiale.
Le grand tournant de Washington: En contraste avec les systèmes de domination verticaux et concentrés des anciens empires européens, le pouvoir, dans la nouvelle configuration mondialisée, est diffus, déconcentré et horizontal. Ce phénomène, à son tour, conduit à de nouvelles formes transnationales de résistance de la part des réseaux décentralisés : les multitudes. L’empire ainsi défini devient un royaume mondial sans limites et sans nom.
Le grand tournant de Washington: Plus à gauche, les théoriciens néomarxistes réfléchissant sur la transnationalisation du capital, la reconfiguration de l’Etat et les nouvelles formes de gouvernance mondiale se sont posés la question de savoir si l’impérialisme représentait toujours une catégorie d’analyse utile. S’inspirant de la thèse de Karl Kautsky sur l’« ultra-impérialisme » (1914), selon laquelle la coopération capitaliste peut transcender les rivalités interimpérialistes provoquées par les poussées monopolistiques de l’Etat-nation et des cartels nationaux, un certain nombre d’intellectuels estimaient dans les années 1990 que le capitalisme tardif avait inauguré une ère postimpérialiste (7). Ils en voyaient les signes dans la formation d’une classe capitaliste transnationale aux intérêts mondiaux, consciente que ses intérêts transcendaient le cadre national territorial (8). L’impérialisme classique, ou la rivalité pour le monopole entre Etats-nations expansionnistes, n’était plus une option dans un système capitaliste interdépendant gouverné par des institutions supraétatiques qui reflétaient les intérêts communs de la nouvelle classe.

Le grand tournant de Washington: Les théoriciens libéraux démocrates ont estimé que nous étions désormais entrés dans une période post-moderne où l’Etat-nation était remis en cause d’une double manière : d’en bas, par une société civile forte d’un nouveau pouvoir et, d’en haut, par des marchés mondialisés autonomes. La période post-moderne transformait également la grammaire de la politique mondiale : dès lors que l’interdépendance créée par les marchés mondiaux et les acteurs transnationaux freinait les impulsions belligérantes de l’Etat-nation moderne, le « pouvoir fondé sur la persuasion » (soft power) supplantait le « pouvoir fondé sur la force » (hard power).
Le grand tournant de Washington: Cette renationalisation de la politique mondiale marque la fin de l’interlude libéral de l’après-guerre froide. Beaucoup ont pensé à la fin des années 1980 et dans les années 1990 que l’apparition d’un « village mondial » (la révolution informatique permettant de compresser le temps et l’espace), la transnationalisation du capital et la création de réseaux de production horizontaux planétaires allaient mener à une redistribution du pouvoir des acteurs publics vers les acteurs privés, et à « la disparition progressive de l’Etat territorial moderne comme lieu premier du pouvoir mondial (5) ».
Le grand tournant de Washington: Certes, l’histoire ne consiste pas en un éternel retour des mêmes phénomènes, mais l’hypothèse de Karl Polanyi fournit un cadre utile pour analyser les impasses de notre époque. De puissantes forces désintégratrices menacent l’édifice de l’actuel ordre libéral. Au niveau sociétal, le durcissement de la résistance sociale devant la compétition du « marché libre » se traduit à la fois par l’apparition d’un mouvement démocratique mondial de transformation sociale et par la montée de populismes autoritaires de droite. Au niveau du pouvoir d’Etat, la réaction la plus parlante a été le spectaculaire regain de nationalisme en Chine, en Russie, au Japon, en Europe (4) et ailleurs. Aux Etats-Unis, cœur du système capitaliste mondial, le nationalisme a pris une forme particulièrement exacerbée : celle de l’impérialisme.

Le grand tournant de Washington: Cette contradiction n’est pas nouvelle. Au XIXe siècle, elle mit fin à la première vague de mondialisation qui suivit l’expansion coloniale occidentale, lorsque la conjugaison du nationalisme et du militarisme porta un coup fatal à l’ordre économique international dominé par la Grande-Bretagne et interrompit la longue période de paix postérieure à 1815 en Europe.
Le grand tournant de Washington: La mondialisation de la fin du XXe siècle, comprise comme l’unification de l’économie mondiale selon un paradigme libéral, semble aujourd’hui toucher à sa fin. Les symptômes en sont multiples : guerres impérialistes, montée des nationalismes, conflits commerciaux de plus en plus graves au sein et à l’extérieur du noyau capitaliste, turbulences sociales qui éclatent dans le monde entier. Cela dans un contexte de déséquilibres structurels de l’économie mondiale et d’accentuation des inégalités sociales tant à l’intérieur des pays qu’entre eux
Le grand tournant de Washington: Par-delà les formules diplomatiques, l’administration américaine se débat dans ses contradictions, car son unilatéralisme – économique, commercial et militaire – se heurte à la réalité multilatérale de la planète. La santé économique de la première puissance dépend largement de l’épargne mondiale, mais les politiques de Washington, inspirées par sa suprématie militaire, contredisent le sacro-saint principe du libre-échange officiellement défendu. S’agit-il d’un tournant de l’histoire similaire à celui qui mit fin, entre 1880 et 1914, à la première phase de la mondialisation capitaliste ?

9.8.05

Les effets de bord blogs.ZDNet.fr: On voit clairement l’établissement d’un cercle vertueux. Plus une technologie se répand, plus elle suscite des vocations ou simplement des idées qui contribuent à son caractère innovant et à sa popularité. Le succès d’une innovation ne se limite donc pas à son succès intrinsèque, mais repose en partie sur la motivation des utilisateurs à s’appuyer sur cette innovation pour donner naissance à d’autres innovations. Et, finalement, le but des innovateurs ne devrait pas tant être de commercialiser un nouveau produit que de tout faire pour que se mette en place autour de lui un écosystème, riche et dense, qui ne manquera pas de donner lieu à une effervescence profitable à tous.
La BI blogs.ZDNet.fr: Si les organisations ont su s’adapter et évoluer, les modes de management et les règles de pouvoir sont eux encore gérés par une vieille tradition immuable, héritée du monde militaire, où la ligne hiérarchique sert d’épine dorsale. L’information est toujours un synonyme de pouvoir et ne doit circuler que dans le sens ascendant. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui encore peu d’entreprises ont réellement modifié ces antiques règles.