16.11.12

Il est toujours difficile et un peu arbitraire de fixer une date précise qui marquerait le début de la révolution industrielle car cette rupture majeure dans l’histoire humaine n’a pas eu lieu ex nihilo et s’est appuyée sur presque un siècle et demi d’innovations « souterraines »; c’est ainsi que dès 1629, l’italien Giovanni Branca conçoit les plans d’un moulin à vapeur.

Au cours de la deuxième moitié du XVIIe siècle, le rythme des inventions, découvertes et innovations s’accélère de manière remarquable avec les travaux de l’anglais Sommerset, qui invente le refroidisseur, et du français Denis Papin qui franchit un nouveau cap en inventant le piston permettant de concevoir enfin des machines à vapeur fiables et surtout très puissantes.

En moins de 20 ans, entre 1769 et 1788, le génial James Watt perfectionna de manière décisive la première véritable machine à vapeur industrielle inventée par l’ingénieur anglais Newcomen en 1711 et largement utilisée en Angleterre pendant le XVIIIe siècle pour pomper l’eau dans les mines de charbon. En moins d’un demi-siècle, la machine de Watt fut le moteur irrésistible qui permit lapremière révolution industrielle, celle de la vapeur comme source démultiplicatrice d’énergie dans tous les domaines d’activités et notamment dans la production industrielle et les transports d’hommes et de marchandises.

En 1769, alors que Watt déposait son brevet pour sa machine à vapeur, un autre Anglais moins connu, Richard Arkwright déposa un brevet pour la « Water frame », le premier métier à filer hydraulique. Cette machine, simple mais très ingénieuse, pouvait se substituer à l’ouvrier pour produire à la chaîne et à bas prix de grandes quantités de fils de coton.

On peut donc véritablement considérer que 1769 marque bien, symboliquement, le début de la révolution industrielle mondiale dont nous sommes toujours les héritiers.

Richard Arkwright, entrepreneur infatigable, compléta cette invention en déposant en 1775 un autre brevet concernant une machine à carder capable de transformer le coton grossier en bande de fibres pouvant directement être filées. Entre-temps, Richard Arkwright avait ouvert à Cromford, en 1771, la première usine de filature industrielle du monde utilisant l'énergie hydraulique et en 1777, il ouvrit à Wirksworth la première filature de coton utilisant une machine à vapeur.

En 1774, la société d’Arkwright employait 600 ouvriers et dix ans plus tard, elle en employait 30 000 ! En 50 ans, de 1770 à 1830, la consommation anglaise de coton fut multipliée par six et le coût de production divisé par cinq. Quant à l’importation de coton brut, on estime qu’elle fut multipliée par vingt au cours de cette même période.

Mais la révolution industrielle supposait non seulement qu’on puisse produire beaucoup plus vite et beaucoup moins cher mais reposait également sur la possibilité d’améliorer avec la même efficacité la vitesse des transports et la circulation de l’information.

S’agissant de la révolution dans les transports, il ne fallut que 26 ans (de 1804 à 1830) pour passer de la première locomotive opérationnelle construite par l’Anglais Trevithick à la première ligne de transport de passagers au monde, reliant les villes anglaises de Liverpool et Manchester. Ainsi, en 60 ans, de 1769 à 1830, la vapeur sous toutes ses formes avait provoqué un bouleversement économique, social et humain sans précédent en Europe depuis l’invention de l’imprimerie.

C’est alors que commença en 1830 la deuxième révolution industrielle qui vit le monde se recouvrir d’un immense réseau de lignes de chemin de fer, qui eut pour effet de contracter l’espace et de poser les bases d’une économie mondialisée, dominée par le commerce international et la circulation toujours plus grande et ouverte des capitaux, des biens et des services.

En 1876, seulement dix ans après l’ouverture de la première ligne de télégraphe transatlantique, un ingénieur américain, Graham Bell, inventa le téléphone qui révolutionna les communications et, en moins de 25 ans, une nouvelle vague d’innovations déferla sur la planète avec l’automobile, le cinéma, la radio et l’avion, en 1903 qui marquait véritablement l’entrée dans ces « Temps modernes » dominés par le triomphe de la science et de la technique et magistralement illustrés par le film de Chaplin en 1936. C'est bien au cours de ce troisième temps de la révolution industrielle, que l'information et la communication prirent définitivement le pas sur la matière comme moteur du développement économique mondial.

A cette troisième révolution industrielle succéda une quatrième vague qui, de 1903 à 1928, vit naître la télévision et les premiers antibiotiques qui allaient être à l’origine d’une immense révolution médicale.

La cinquième révolution industrielle commence avec la naissance de l’informatique et l’on sait à présent que c’est bien le calculateur Z3, conçu par le génial ingénieur allemand Konrad Zuse en 1941 qui fut le premier ordinateur fonctionnel au monde, suivi de peu par son cousin anglais, Colossus en 1944, puis par la machine américaine ENIAC en 1946.

Ce sixième temps de la révolution industrielle, commencé à la fin de la seconde guerre mondiale, s’acheva en 1971 avec le premier microprocesseur qui allait permettre une généralisation et une démocratisation inimaginables de l’informatique puisque la barre des deux milliards d'ordinateurs devrait être franchie dès 2014.

Entre-temps, un réseau d’interconnexion des ordinateurs militaires américains, nommé Arpanet, avait vu le jour en 1967 et celui-ci évolua jusqu’à devenir l’Internet avec l’ouverture au grand public de l’accès au Web en 1990. Il avait fallut moins de 20 ans pour que se déroule la septième vague de la révolution industrielle, allant du microprocesseur à l’Internet.

Fait révélateur de l'extraordinaire accélération de l'économie et de la technologie, alors qu'il avait fallu plus de 130 ans pour atteindre les cinq milliards d'utilisateurs du téléphone, la barre des deux milliards d'ordinateurs a été atteinte en 30 ans et celle des 2,3 milliards d'internautes l'a été en 22 ans !

Quant à la huitième vague, c’est évidemment celle que nous sommes en train de vivre actuellement et qui s’articule autour de quatre pôles : la numérisation et la virtualisation de la connaissance et de l’économie, les biotechnologies, la robotique et, plus récemment les nanotechnologies qui sont en train de « fertiliser » l’ensemble de nos outils et systèmes scientifiques et industriels.

Pour mesurer le chemin parcouru, quelques ordres de grandeur méritent d’être rappelés. On estime par exemple que le Produit Mondial Brut, c'est-à-dire la valeur monétaire de la totalité des richesses produites dans le monde pendant un an, est passé de 175 milliards de dollars (valeur 2000) vers 1800 à 58 000 milliards de dollars en 2010. Il a donc été multiplié par 330 en un peu plus de deux siècles !

Si l’on compare à présent le PMB par habitant dans le temps, on constate que celui-ci est passé, en moyenne, de 215 dollars (valeur 2010) à 8 300 dollars entre 1800 et 2010. Il a donc été multiplié par 39 au cours de cette période.

En matière de consommation totale d’énergie, le monde qui consommait à peine plus de 50 millions de tonnes d’équivalent pétrole en 1800 en consomme à présent 12 gigatonnes par an, soit une multiplication par 240 de la consommation mondiale d’énergie en un peu plus de deux cents ans. En revanche, il est frappant de constater que la consommation énergétique moyenne annuelle d’un terrien n’a été multipliée que par 10 au cours de la même période (passant de 0,16 tonne à 1,7 tonne par terrien).

Que signifie ce décalage ? Il montre simplement l’extraordinaire progression de l’efficacité et rendement énergétique de l’économie mondiale : En 1800, cette économie mondiale devait dépenser environ une tonne d’énergie pour produire seulement 220 dollars de richesse alors qu’actuellement chaque tonne d’énergie dépensée dans le monde permet de produire environ 4 800 dollars de richesse, c'est-à-dire 22 fois plus qu’en 1800 !

Mais cette progression en matière énergétique n’est rien par rapport à l’évolution de la quantité d’informations produite dans le monde : cette quantité double tous les deux ans et serait actuellement de l’ordre de 1,8 milliard de térabits par an, soit 250 000 térabits par terrien ou encore l’équivalent de 3 disques durs de 1000 Go d’ordinateur par an et par terrien !

Bien qu’un tel calcul ne puisse qu'être approximatif, on peut estimer que la quantité moyenne d’informations produite par terrien et par an aura été multipliée par plus d’un milliard depuis le début de la révolution industrielle !

Au niveau mondial, on estime que la part de la production industrielle dans le Produit Mondial Brut est passée, depuis 30 ans,  de 27 à 20 %. Aux Etats-Unis par exemple, la part de l'industrie dans le PIB ne représente plus que 10 %, contre 30 % en 1950 et en 2010, la Chine est devenue la première puissance industrielle du monde, selon une étude d’IHS Global Insight.

Selon cette étude, la production manufacturière de la Chine a représenté 19,8 % de celle de la planète en 2010, tandis que la part des Etats-Unis atteignait 19,4 %. En valeur, la production industrielle chinoise a atteint 1995 milliards de dollars courants en 2010, contre 1950 milliards de dollars pour les Etats-Unis.

Mais ce basculement industriel mondial n’est pas seulement quantitatif et géopolitique, il est surtout qualitatif : les nouvelles puissances émergentes, comme l’Inde, la Chine, le Brésil ou la Corée du Sud, ne se contentent plus de fabriquer à moindre coût nos produits de consommation courante. Elles sont à présent capables de rivaliser avec l’Europe, les Etats-Unis et le Japon dans la conception et la fabrication de produits et services à très forte valeur ajoutée dans tous les domaines de pointe, qu’il s’agisse des télécommunications, de l’informatique ou de l’électronique. Ces pays ont compris que leur place dans la compétition économique mondiale se jouerait sur trois facteurs : l’effort en matière de formation, l’effort financier et l’effort technologique.

Dans le domaine de la formation, la Chine dispose, avec 1,2 million de chercheurs, d’une ressource en matière grise équivalent à plus de 80 % des capacités européennes ou américaines et, à ce rythme, elle comptera le tiers des chercheurs de la planète en 2025.

En matière de recherche, l’effort financier de la Chine arrive en deuxième position derrière celui des USA et est à présent supérieur à celui du Japon. Enfin, en matière d’innovation, la Chine est devenue en 2011 le premier pays en terme de dépôt mondial de brevets. Son grand rival asiatique, l’Inde, pour sa part, produit 500 000 nouveaux ingénieurs par an (deux fois plus qu’il y a 10 ans), soit plus que l’Europe et les Etats-Unis réunis et leur salaire annuel moyen est de 8 000 dollars, contre 70 000 dollars pour leurs homologues américains.

L’accélération mondiale du progrès technologique et des gains de productivité qui en résultent ont un double impact considérable sur l’emploi industriel : d’une part, les gains de productivité dans l’industrie permettent de réduire le nombre de travailleurs dans ce secteur et, d’autre part, les gains de productivité obtenus dans l’économie globale entraînent une hausse du revenu des travailleurs qui se traduit dans les pays développés, mais également de plus en plus dans les pays émergents, par un transfert des dépenses des ménages qui vont de plus en plus vers les services - santé, loisirs, éducation, économie numérique - et de moins en moins vers l’acquisition de biens matériels et physiques.

Il est donc clair que la bataille mondiale de la néo-industrialisation se jouera non seulement sur le terrain de la relocalisation de certaines productions industrielles physiques à haute valeur ajoutée, comme l’a bien compris l’Allemagne, mais également et surtout sur le terrain infiniment plus vaste de l’industrie culturelle, éducative et numérique qui permet au plus grand nombre de produire une forte valeur ajoutée cognitive en transformant l’information en connaissance.

Le problème est que le déséquilibre économique mondial se traduit par l’opposition entre le vieux monde (Europe, USA et Japon) qui est trop endetté, consomme trop et n’épargne pas assez pour préparer l’avenir (Le taux d’épargne n’est que de 12 % en Europe et de 7 % au Japon) et le « nouveau monde », principalement la Chine et l’Inde ou, au contraire, le niveau d’épargne est très élevé (En Chine, le taux d’épargne reste supérieur à 50 % et en Inde, il est passé de 5 à 27 % en quarante ans) par rapport à la consommation.

http://www.rtflash.fr/huit-revolutions-techno-industrielles-qui-ont-change-monde/article