11.10.12

Samuel Arbesman de la Fondation Kaufman est l’auteur de “La demi vie des faits : pourquoi tout ce que nous connaissons a une date d’expiration”. Le chercheur s’inquiète que de plus en plus de nos décisions s’appuient sur des connaissances fausses, qu’on traîne avec nous depuis l’école ou la fac. Les données scientifiques doublent tous les 15 ans, et leur taux de croissance serait environ de 4,7 % par an depuis le 17e siècle. Les connaissances d’une génération de chercheurs s’avèrent donc fausses au bout d’une génération ou deux, 30 à 45 ans. Nous avons tendance à savoir ajouter de nouveaux faits à ceux que nous connaissons déjà, plus qu’à assimiler de nouveaux faits qui contredisent ce que nous pensions. Le fait de savoir que nos connaissances ont une durée de vie limitée et qu’il faudra les remettre en cause serait déjà une bonne base, estime le chercheur.

8.10.12

Pourquoi les États-Unis sont-ils riches alors que le Mexique est pauvre ?

La frontière américano-mexicaine, les villes jumelles de Nogales (Arizona, États-Unis) et Nogales (Sonora, Mexique). Des deux côtés, on trouve la même population (mexicaine ou d’ascendance mexicaine), on mange la même cuisine, on écoute la même musique, on subit le même climat et les mêmes bactéries. Comment comprendre alors l’écart de richesse, de un à sept, qui prévaut entre les deux Nogales ?

La seule explication plausible, pour Daron Acemoglu et James A. Robinson, tient à la différence des institutions entre les deux espaces politiques. Et les auteurs de retracer l’histoire de la genèse de ces institutions, genèse qu’ils font remonter aux processus de colonisation de l’Amérique hispanique et de l’Amérique du Nord. Dans la première, les Espagnols ont très tôt mis en place un régime d’extraction de richesse en soumettant les populations à un système de travail obligatoire. Un tel régime a modelé les économies locales jusqu’aux économies rentières et inégalitaires de l’Amérique latine.

En Amérique du Nord, ce mode de conquête a échoué – les populations autochtones ont mieux résisté. Les colons ont dû travailler, se sont rapidement vu concédés des terres et des droits politiques. Bref, deux régimes politiques différents ont mis en place des institutions distinctes par les incitations économiques qu’elles créaient. Là résiderait la clé la richesse ou de la pauvreté des nations.

Beaucoup ont essayé d’expliquer l’hégémonie que l’Occident a exercée sur le monde depuis deux siècles ou la fabrique du monde moderne, comme l’historien britannique travaillant aux États-Unis Gregory Clark dans A Farewell to Alms. A brief economic history of the world (2007), ou Nathan Rosenberg et Luther E. Birdzell dans Comment l’Occident s’est enrichi (1986, trad. fr. André Charpentier, Fayard, 1989). Une telle histoire peut déboucher sur la géopolitique, avec un Samuel P. Huntington – Le Choc des civilisations (1996, trad. fr. Jean-Luc Fidel et al., Odile Jacob, 1997, rééd. 2000) – ; voire la reconsidération de la place de l’Amérique dans le concert des nations, ce que fait le journaliste indien naturalisé américain Fareed Zakaria, auteur d’une œuvre dont on peut retenir From Wealth to Power. The unusual origins of America’s world role(1999) et Le Monde postaméricain (2008, trad. fr. Johan-Frédérik Hel Guedj, Saint-Simon, 2009, rééd. Perrin, 2011).

Dans cette veine universaliste, l’un des ouvrages les plus emblématiques reste Richesse et pauvreté des nations. Pourquoi des riches ? Pourquoi des pauvres ? (1998, trad. fr. Jean-François Sené, Albin Michel, 2000), de David S. Landes. Ce professeur d’économie à l’université de Harvard (Massachusetts) estime comme J. Diamond que les réussites des sociétés sont liées aux ressources qu’offre leur milieu : certaines régions du monde bénéficient d’un climat tempéré quand d’autres, les tropiques, sont le paradis des virus et des bactéries. Si pour D.S. Landes, la science et la technologie permettent d’apporter des réponses à ces graves difficultés, elles ne peuvent paradoxalement atteindre leur pleine efficacité que dans des sociétés déjà développées, donc favorisées par la nature. Reste que les êtres humains ne partagent pas les mêmes croyances ni les mêmes valeurs, et que ces écarts exercent des effets sur développement des sociétés – ainsi de la place que chacune accorde aux femmes, qui constitue pour cet auteur aux multiples intérêts l’un des meilleurs indicateurs de son degré de développement.