31.3.12

Economie de l’attention1. Développée pour décrire la gestion de l’information en régime numérique ou les mécanismes du marketing....Comme les espèces biologiques sont en compétition pour le partage des ressources, les biens culturels sont en concurrence sur le marché de l’attention...Désir, séduction, attractivité: les termes généralement employés pour décrire la fabrique ou la captation de l’attention relèvent d’un vocabulaire libidinal qui présente au moins deux inconvénients. Le premier est d’encourager une approche pulsionnelle des pratiques cognitives, qui comporte une dimension de jugement de valeur. Le second est de privilégier le versant positif de la réception: acte d’achat ou d’adhésion. Cette approche s’inscrit dans la tradition d’une interprétation des réactions du public à travers la grille de l’influence. 

Nous vivons un véritable changement, qui a déjà engendré deux crises économiques, modifié la façon dont nous apprenons et nous nous divertissons et altéré le tissu des relations humaines. Pourtant, jusqu’à présent, nous n’avons qu’une faible compréhension de ce qui nous arrive et de la manière de le gérer. La plupart des gens intelligents qui pourraient nous aider sont trop occupés à vendre du conseil aux entreprises, leur expliquant comment maintenir leurs monopoles chancelants face au tsunami numérique.

La pensée elle-même n’est plus – ou en tout cas plus seulement – une activité personnelle. Elle se produit désormais d’une façon nouvelle, en réseau. Mais jusqu’à présent, cet organisme cybernétique ressemble davantage à une foule désordonnée qu’à un cerveau humain collectif. Les gens ont été réduits à se comporter comme autant de systèmes nerveux configurés depuis l’extérieur, tandis que les ordinateurs sont libres de se connecter entre eux et de penser d’une façon plus avancée que nous ne le ferons ja! mais.

Le numérique transforme malgré nous : notre rapport au temps, notre rapport à l’espace, notre rapport à la décision (“au royaume du numérique tout devient choix”), notre rapport à la complexité (le numérique simplifie le monde), à l’échelle (le numérique à tendance à tout mettre au même niveau), à soi et aux autres, notre rapport à la vérité (“le numérique favorise les faits au détriment de la fiction”), notre rapport au partage, et bien sûr notre rapport au but que poursuivent ceux qui développent la technologie. Ces 10 commandements sont autant de mises en garde pour comprendre comment le numérique bouleverse notre quotidien

Les outils que nous construisons sont désormais utilisés autour de la planète par toutes sortes de personnes ayant des objectifs bien différents. Ils sont utilisés par les activistes pour contester le statu quo, mais ils sont également utilisés par le statu quo pour faire valoir de nouveaux types d’autorité. Les gens construisent de nouveaux réseaux de pouvoir sur les réseaux technologiques que nous avons générés et ils renforcent également les structures de pouvoir existantes.
Nous aimons nous considérer comme perturbant les systèmes de puissance et, en fait, c’est ce que nous faisons depuis longtemps. Mais désormais, ceux qui sont au pouvoir tirent parti de nos outils pour exercer de nouvelles formes de pouvoir. La peur est l’un des outils qui est utilisé. Elle s’infiltre dans nos systèmes.

La peur se répand très vite et nous n’avons pas trouvé un bon antidote pour la combattre. George Gerbner a observé que la couverture médiatique des contenus violents fait croire aux gens que le monde est plus dangereux qu’il ne l’est réellement. Il a appelé ce phénomène le “syndrome du monde méchant” : “Plus les gens sont exposés à des contenus négatifs au sujet de ce qui se passe dans le monde, plus ils croient que le monde est un endroit négatif.

Les gens tolèrent certaines choses et pas d’autres – et cela change la tolérance sur les personnes, sur les enjeux, sur les risques d’être tolérant. Nos décisions concernant ce qui est acceptable de tolérer plongent dans nos valeurs et nos croyances au sujet de ce qui est juste et ce qui est faux. Il y a certainement des gens qui embrassent la différence quand ils y sont! exposés, mais il y a aussi des gens qui la redoutent plus encore. L’exposition à de nouvelles personnes ne produit pas automatiquement de la tolérance. Lorsque les premiers explorateurs ont traversé la terre, ils ont pillé et dépouillé ceux qu’ils ont rencontrés avant même d’avoir commencé à les coloniser. L’exposition à d’autres personnes, au cours des grandes explorations, n’a pas magiquement produit de la tolérance. Elle a produit plutôt de la colère, de la méfiance et de la haine.

“Le problème est que plus les stimuli sont en compétition pour votre attention et plus les demandeurs d’attention vont se battre pour capter la votre. Et cette guerre psychologique va se traduire par le fait que les demandeurs d’attention vont avoir tendance à toujours plus utiliser l’émotion pour attirer votre attention. Et c’est là que la peur entre à nouveau en scène. Parce qu’elle est un mécanisme biologique simple et efficace pour obtenir l’attention des gens, nombre de demandeurs d’attention se tournent vers elle. La peur est particulièrement puissante dans un environnement où l’attention disponible est limitée.”

Le fait que les gens soient sensibles à une campagne de peur est ce qui les rend vulnérables à la manipulation par ceux qui veulent générer de la peur. Pour comprendre de plus près cette dynamique, il faut observer le rôle de l’attention, estime la chercheuse, car l’économie de l’attention constitue un terrain fertile pour la culture de la peur. Dans les années 1970, l’économiste et sociologue Herbert Simon a fait valoir que “dans un monde riche en informations, la richesse de l’information signifie un manque de quelque chose d’autre. Une pénurie de ce que l’information consomme. Ce que l’information consomme est assez évident : elle consomme l’attention de ses bénéficiaires.”

Ses arguments ont donné lieu à la fois à la notion de “surcharge d’information” mais aussi à l’”économie de l’attention”, rappelle danah boyd. “Dans l’économie d’attention, la volonté des gens pour distribuer leur attention à des stimuli d’information divers crée de la valeur pour lesdits stimuli. L’importance économique de la publicité repose sur l’idée qu’amener les gens à prêter attention à quelque chose a une valeur.”

L’information est étroitement liée à l’économie de l’attention. Les journaux tentent de capturer l’attention des gens par leurs manchettes. Les stations de télévision et de radio tentent d’inciter les gens à ne pas changer de chaîne. Et, en effet, il y a une longue histoire des médias d’information tirant parti de la peur pour attirer l’attention, que ce soit en utilisant des titres effrayants pour générer des ventes ou en faisant de la propagande pour façonner l’opinion publique.

En quoi la peur est-elle utile ? “En fait, elle prédispose l’attention des gens et les incite à suivre les commandements qu’on leur donne. Une des raisons qui font que la peur fonctionne est que les gens ont du mal à évaluer les risques et à répondre intellectuellement à la peur. La peur fonctionne sur une réaction émotionnelle plus que rationnelle.” Nombre de livres ont été écrits sur l’incapacité des gens à évaluer des risques raisonnables, comme Freakonomics de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner ou Culture de la peur de Barry Glassner. Barry Glassner met en évidence le rôle des médias dans l’écosystème de la peur. Il raconte par exemple que dans le! s années 90, après qu’une série de femmes âgées aient été agressées, les médias ont commencé à distiller des messages sur le risque à sortir dans la rue. Les informations communiquées étaient très effrayantes, insistant sur toutes les choses terribles qu’elles risquaient. Dans les mois qui suivirent, plus de personnes âgées sont mortes de faim, de peur de quitter leurs maisons, qu’il n’y a eu de victimes d’agressions. “La peur, conjuguée à de mauvaises évaluations des risques, peut avoir des conséquences mortelles.”

Notre peur est impossible à rassurer

Pour danah boyd, la “culture de la peur” se réfère à la façon dont la peur est employée par les commerçants, les politiciens, les concepteurs de technologies [notamment ceux de la sécurité informatique] et les médias afin de “réguler” le public. La peur n’est pas seulement un produit des forces naturelles. “Elle peut être systématiquement générée pour attirer, motiver et réprimer le peuple. Les personnes au pouvoir ont longtemps utilisé la peur pour contrôler le peuple. Le “Terrorisme” – par exemple – est l’utilisation systématique de la peur pour atteindre des objectifs politiques. La culture de la peur est ce qui émerge quand la peur est utilisée à un niveau tel qu’il façonne largement la vision du monde des gens.”

La peur est une émotion importante, rappelle la chercheuse. C’est une réaction psychologique raisonnable face à une incertitude et de menace. “Il s’agit d’un mécanisme de survie. C’est ce qui nous permet d’évaluer une situation à risque et de déterminer une réponse.” On peut apprendre la peur par l’expérience : quand vous vous brûler, vous développez une crainte respectueuse du feu par exemple. Et elle peut également être séduisante comme quand on pratique des sports extrêmes.

“Pourtant, la peur peut aussi être un outil de contrôle. Le 11 septembre fut une journée traumatisante pour beaucoup de gens. Dans les jours qui suivirent, les gens s’affairaient à comprendre ce qui se passait et pour comprendre la menace potentielle à laquelle faisait face leur communauté. Ce n’est pas la première fois que l’Amérique a ressenti une telle confusion et un tel chaos. Lisez les comptes rendus de ce qui s’est passé autour de la crise des missiles cubains et vous entendrez un ensemble similaire de craintes et d’incertitude. Mais là où les évènements post 9 septembre se sont écartés de la crise des missiles cubains repose dans la façon dont la peur a été employée par le complexe militaro-industriel et le Congrès. Aux États-Unis, nous sommes en état d’alerte orange de! puis plus d’une décennie maintenant. 

Rifkin dresse un double constat. D’une part, celui de la fin de la seconde révolution industrielle, fondée sur le pétrole et les énergies fossiles. Plus que le pic pétrolier, nous avons atteint “le pic de la mondialisation”, estime-t-il. Nous ne pouvons plus fonder notre croissance sur un système qui va générer par définition des crises à mesure que les énergies fossiles vont se raréfier. Même la perspective de trouver de nouveaux secteurs d’extractions ne suffira pas à combler notre appétit insatiable d’énergie. Pour lui,“la crise c’est le pétrole !” et les conséquences organisationnelles que notre pétrodépendance a eues sur! la société tout entière. “Les régimes énergétiques déterminent la nature des civilisations – leur façon de s’organiser, de répartir les fruits de l’activité économique et des échanges, d’exercer le pouvoir politique et de structurer les relations sociales.”