20.8.12

Le « sentiment ethnique » tel que compris par les historiens, c’est tout simplement le fait national précolonial. Il désigne un moment bien particulier : celui qui précède la conquête. Les peuples alors indépendants ont connu, à leur façon mais comme ailleurs, un processus de constitution de « nations (1) », c’est-à-dire la conscience d’appartenir à une communauté linguistique, culturelle et politique héritée d’un passé commun. Mais, bien sûr, toute collectivité soucieuse de légitimer son histoire était prompte à la réinterpréter idéologiquement au nom d’une « parenté sociale » rêvée ou reconstituée à travers des « mythes d’origine » (tous seraient plus ou moins descendus du même ancêtre).

A l’époque coloniale, un double courant consolida ces vues : d’une part, l’ethnographie coloniale fut trop contente de figer ces réalités mouvantes à l’intérieur de territoires stables, propres à faciliter dénombrements, levée de l’impôt et recrutements de travailleurs : les « ethnies » devinrent « tribus » ce qui permettait doublement d’évacuer l’idée de « nation », domaine réservé de l’Etat occidental. D’autre part, le rejet du modèle blanc incita les Africains à entrer dans ce jeu : l’oppression favorisa la quête désespérée d’un ré-enracinement identitaire ; le sentiment ethnique devint revendication de leur différence : il se rigidifia, voire s’inventa comme autonome et ancien.