20.1.16

Comment briser le cercle de la vengeance

https://blogs.mediapart.fr/didier-bigo/blog/301115/comment-briser-le-cercle-de-la-vengeance

L'étude des conflits nous apprend que le premier élément de
réflexivité nécessaire à l’analyse est de percevoir le mimétisme entre
des adversaires qui ne cessent de jurer leur différence radicale.
Cependant les pratiques d’acteurs engagés dans des violences extrêmes 
finissent par les indifférencier au fur et à mesure de la lutte.
Lutte qui les engage dans une réciprocité des actes de violence, dont
la monotonie et la bêtise ne sont qu’un des aspects les plus apparents.
Aux bombes succèdent les bombardements à moins que ce ne soit l’inverse.
chaque adversaire tend à justifier sa violence par une phrase enfantine:
“ce n’est pas moi qui ait commencé”, en tentant de repousser
ainsi l’origine du premier acte violent sur celui qu’il dénonce.
la désignation de l’origine de la violence du côté de l’adversaire,
sert non seulement à l’accuser d’être un fauteur de troubles
qu’il faut détruire, mais il provoque aussi, et surtout, une
“purification” de la violence de retour, celle par qui l’on
se venge, celle par qui on applique la loi du talion.
Cette dernière n’est plus violence, elle est convertie en “sécurité”.
Cette violence justifie l’accumulation de moyens permettant non seulement de rendre
coup pour coup mais aussi d’intensifier la violence par une escalade visant
à briser l’adversaire.

Cette loi du talion qui se fonde sur la nécessaire réponse à la violence par
une violence identique ou un peu plus forte, est déjà une régulation par
rapport à la violence totale. Elle se fonde sur un jeu d’accusation réciproques 
où chacun s’estime victime de l’autre et justifié dans son combat.

C’est ce mécanisme qui permet même parfois de prendre pour cible
des “ennemis” éloignés de ceux qui sont censés avoir frapper en
premier, mais qui sont “commodes” car ils sont moins difficiles à
combattre, parce qu’ils n’ont ni armes, ni cohésion sociale.

Cette violence là peut parfois se dire militaire, policière, 
judiciaire et les institutions peuvent la voiler de nombreux 
régimes de justification allant de la survie du 
régime à la protection des citoyens en passant par la condamnation
morale des valeurs inférieures de l’autre. Mais cette violence
là n’est pas la guerre, elle n’est pas la lutte contre le crime,
Elle est une forme de vengeance qui tourne à la colère froide
et à la prolongation des actes de coercition lorsque le plus puissant
s’est vu agressé et considère qu’il est dans son “bon droit”.

Cette forme de vengeance qui se détache souvent des oripeaux
de la justice dans son expression et se veut tout autant
exceptionnelle que permanente, ne produit que très rarement
l’extinction du conflit, elle en devient au contraire le moteur,
en agissant souvent de manière indiscriminée par l’élargissement
des cibles suspectes, et en polarisant des groupes jusque là
peu concernés en deux camps résolus à en découdre.

Elle peut parfois, en particulier lorsque le régime est fort,
lorsque la cause semble entendue et que l’horreur de la
violence spectaculaire de l’autre révulse tout un chacun,
mobiliser jusqu’à des quatre vingt dix pour cent d’une
population sur un territoire donné, mais, si dans le même temps,
elle a contre mobilisé ne serait ce que cinq à dix pour cent,
d’individus, prêt à passer à l’action, elle a finalement échoué.
La vengeance du fort ne règle pas à long terme de conflits, elle
ne fait que l’arrêter momentanément et le repousser de
quelques mois, de quelques ans ou d’une génération.

Il pourrait y avoir,au minimum, une réflexion sur la reconnaissance des enjeux
politiques et sur le manque d’avenir des solutions qui
prétendent que la violence technologique détruira la barbarie
et empêchera sa réémergence sous d’autres formes.

La violence et la guerre sont elles une réponse à la violence
des attentats?

Pour certains, cela ne fait aucun doute. C’est le seul moyen
d’arrêter la violence en imposant une violence plus forte,
tellement forte qu’elle arrêtera la première, et qu’elle
dissuadera d’autres de recommencer. Dire que la guerre est
nécessaire revient souvent à ce premier moment, à cette
première croyance dans l’efficace de la violence armée
comme moyen de sécurité.

Seulement ces mesures provoquent une inflation législative
antiterroriste et, loin d’être une réponse aux attentats,
elles risquent de constituer, non une solution à la violence
politique qui vient de se produire, mais au contraire une
ultra solution, c’est à dire une solution qui engendre plus
de problèmes qu’elle n’en résout.

Cette ultra solution devient elle-même source d’une dynamique
engendrant une escalade de la violence transnationale.

Le contrôle d’ici fabrique souvent les conditions de
la discrimination et de la polarisation asymétrique nécessaire
à l’éclosion de la haine et de la violence?

Un excès de la “réponse” peut précipiter
le monde dans autant de problèmes qu’une absence
totale de réponse, les deux se rejoignent dans
l inefficacité et l’absence de légitimité
Guantanamo, Abu Ghraib, la torture, les assassinats
extrajudiciaires par les drones sont là pour nous
rappeler que cette circularité de la violence n’est
pas une vue de l’esprit mais un mécanisme social et
politique de première importance.
Il en résulte un début d’emballement
mimétique qui doit être stoppé avant que la
réciprocité et le mimétisme des adversaires
ne deviennent que trop vrais et n’engagent
dans un échange accéléré des coups violents.