27.12.10

Accélération tout d’abord chinoise. Avec un taux de croissance annuelle de 10%, la Chine double son produit intérieur brut tous les 7 ans et demi. Il avait fallu 58 ans au Royaume-Uni, pour doubler son revenu par tête à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles; 47 ans aux Etats-Unis, entre 1839 et 1886; 34 ans au Japon entre 1885 et 1919. La Chine l’a fait plus de trois fois depuis 1978. En 1999, elle occupait la 7e place mondiale, derrière l’Italie. elle est numéro deux, derrière les Etats-Unis.(3) On dit qu’elle dépassera les Etats-Unis en 2025

16.12.10

On mesure mieux les progrès accomplis en matière de puissance de calcul quand on sait que le Cray-1, le « must » des supercalculateurs des années 1980, était moins puissant qu’un ordinateur portable de 2010.

Depuis l’Antiquité, l’homme n’a cessé d’inventer des machines pour mieux compter mais c’est l’avènement des premiers calculateurs informatiques dans les années 40 qui a donné à l’espèce humaine une puissance de calcul inimaginable et celle ci a augmenté en moyenne d’un facteur mille tous les 10 ans depuis la naissance de l’informatique.

9.12.10

Édito : la vie, cette inconnue !
A quelques jours d’intervalle, deux découvertes extraordinaires dans le domaine du vivant ont fait grand bruit au sein de la communauté scientifique mondiale.

Tout d’abord, des chercheurs de l’université d’Harvard sont parvenus à inverser le processus de vieillissement de souris. Comme le précise Ronald de Pinho qui a dirigé cette expérience, « Il ne s’agit pas d’un ralentissement de la vieillesse, mais bien d’organes âgés qui se sont régénérés » (Voir article).

En modifiant certains de leurs gènes, les chercheurs sont parvenus à régénérer les organes de ces souris âgées de manière spectaculaire.

Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont élevé un groupe de souris dépourvues d’une enzyme appelée télomérase, enzyme qui permet de conserver la longueur du chromosome en ajoutant une structure spécifique à chaque extrémité : le télomère.

Son amenuisement est lié au processus de vieillissement. Sans cette enzyme, donc, les souris ont vieilli rapidement. Mais lorsqu’elles ont été réactivées sur ces mêmes souris, leurs organes se sont régénérés de façon substantielle.

Bien que l’activation de la télomérase ne soit pas applicable à l’homme pour l’instant, car elle pourrait augmenter les risques de cancers, cette expérience remarquable montre bien que les maladies liées à l’âge sont réversibles, ainsi que le souligne Ronald de Pinho, l’auteur principal de l’étude.

L’équipe de scientifiques veut maintenant savoir si la durée de vie de ces souris va augmenter ou bien si elles vivront simplement en bien meilleure santé.

7.12.10

Nous sommes de ceux qui pensent que les mécanismes en cause - que nous avons nommés "anthropotechniques" - sont trop lourdement déterminés pour pouvoir être infléchis par de simples décisions volontaristes. Jamais les intérêts multiples poussant à la production des gaz à effets de serre et autres catastrophes environnementales ne se laisseront influencer par des avis d'experts. Ils ne ralentiront pas leur marche inexorable aux désastres envisagés. Les populations elles-mêmes, qui devraient se sentir les premières concernées, paraissent parfois prendre en dérision ceux que l'on caricature comme des prophètes de malheur.

26.11.10

Le grand défi urbain de demain sera de concevoir des villes denses, sobres et efficaces sur le plan de l’énergie et des transports mais où la végétation sera présente partout, toits, trottoirs, rues... De telles villes seront vraiment « durables » car elles combineront le meilleur de la technologie et l’intégration de la nature à tous les niveaux d’organisation de la cité.

18.11.10

"Si l’on extrapole jusqu’aux planètes proches de la Terre (entre 0,5 et 2 masses terrestres) nous prédisons que vous en trouverez environ 23 pour 100 étoiles" précise A.W. Howard, un astronome de l’université de Berkeley. Et son collègue Geoff Marcy d’ajouter : "Les données récoltées nous disent que notre galaxie, qui contient quelque 200 milliards d’étoiles, compte au moins 46 milliards de planètes de la même taille que la Terre, sans compter celles dont l’orbite est plus éloignée de leur astre dans la zone habitable".

11.11.10

A mesure qu’on s’éloigne du séisme financier de 2008, où les dirigeants de la planète ont vu le sol se dérober sous leurs pieds, le poids des lobbies, les rivalités entre puissances et les calculs de court terme l’emportent sur la nécessité de la coopération, note Dominique Plihon, d’Attac. Il n’y a plus de volonté de réforme fondamentale.»

10.11.10

Malgré les succès remportés dans plusieurs domaines, la situation des grands dossiers environnementaux s'est détériorée depuis le premier bilan de la planète, il y a 20 ans. Crise du climat, crise environnementale, crise énergétique, crise de la biodiversité et crise de l'eau ne font qu'une seule et même crise, indique GEO4, parce que tous ces phénomènes interagissent et rapprochent l'humanité des seuils de rupture qui mènent à l'irréversibilité dans plusieurs domaines.

Vingt ans après le rapport de la commission Brundtland à l'origine du concept de développement durable, les problèmes environnementaux se sont aggravés partout sous l'impulsion d'une population et d'une consommation croissantes, au point où ils mettent désormais «l'humanité en danger».

5.11.10

L’ADN est en effet constitué d’une longue séquence de nucléotides représentés par quatre lettres : A, T, C et G. Chaque génome humain totalise 3,2 milliards de ces briques élémentaires. Environ 99,9 % de cette suite ininterrompue de lettres (qui pourrait remplir 10.000 livres de 200 pages) est identique d’un individu à l’autre et fait de nous des hommes. Le reste de ce code nous rend unique. Ce sont ces infimes variations qui expliquent pourquoi une personne a les yeux bleus plutôt que noirs. Ce sont aussi elles qui sont responsables de nombreuses maladies et autres dysfonctionnements physiologiques. Tout leur intérêt pour la médecine vient de là. La thérapie génique vise par exemple à remplacer les gênes défectueux où ces variations apparaissent.

Depuis la naissance de la discipline, les généticiens cherchent à localiser le plus grand nombre possible de ces variations sur l’hélice ADN avec le plus de précision possible. Les chercheurs du 1000 Genomes Project viennent d’en débusquer la bagatelle de 16 millions, soit 95 % de leur nombre total présumé. Ils ont retrouvé toutes celles déjà identifiées auparavant et en ont détecté autant de nouvelles. « Cette étude offre le premier inventaire à grande échelle de la diversité génétique humaine »

Le 29 octobre, un accord international historique, visant à enrayer la disparition alarmante des espèces, a été adopté à Nagoya (Japon) à l’issue de 8 ans de négociations laborieuses par les quelque 190 pays membres de la Convention sur la diversité biologique.

Cet accord très large prévoit notamment un plan stratégique pour 2020 fixant 20 objectifs pour protéger la nature et freiner le rythme alarmant de disparition des espèces, avec en particulier un objectif d’extension des aires protégées à travers le monde, sur terre comme en mer. Il contient également un protocole sur le partage des bénéfices tirés par les industries de la pharmacie et des cosmétiques des ressources génétiques issues des nombreuses espèces (animaux, plantes, micro-organismes) présentes dans les pays du Sud.

L’accord prévoit également d’augmenter les aires protégées de la planète dans les années à venir. Aujourd’hui, elles représentent 13 % de la surface totale des terres. L’objectif pour 2020 est d’atteindre 17 %.

Cet accord constitue un véritable tournant dans la protection mondiale active de la biodiversité. Il est vrai que la situation est alarmante : une espèce d’amphibien sur trois, plus d’un oiseau sur huit, plus d’un mammifère sur cinq sont menacés d’extinction au niveau mondial, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

2.11.10

La Forteresse Europe sera par ailleurs nécessaire pour faire naître, conserver ou, à défaut, attirer les « cerveaux » indispensables à la construction du « capitalisme cognitif » au sens donné à ce terme par le Pr. Moulier Boutang. Dans un monde globalisé, ces « cerveaux » par définition mobiles ne s'investiront que là où ils y trouveront des incitations favorables à leur propre valorisation.

La Chine, écrit-il, s'est donnée quatre priorités où elle a décidé d'affecter des dizaines de milliards de dollars par an sur 25 ans. Rappelons que lorsqu'on parle de la Chine, on désigne aussi bien le gouvernement de Pékin que l'ensemble de la société chinoise, laquelle partage les ambitions et aussi le poids des investissements.
Que sont ces priorités ? Un ensemble d'aéroports ultra-modernes, un réseau de trains à grande vitesse reliant les principales cités (trains qui seront soit dit en passant chinois et non importés), un effort sans précédent au monde dans le domaine des cellules souches et de l'ingénierie génétique et finalement des prêts d'ensemencement de 15 milliards aux industriels de l'automobile et des accumulateurs pour créer une industrie de la voiture électrique dans vingt villes pilotes.

Friedman aurait pu ajouter, comme nous l'indiquions dans l'un de nos éditorial récent, que la Chine est bien décidée à dépasser les Etats-Unis dans la course à l'espace, vers la Lune et Mars notamment, sans se laisser rattraper par l'Inde qui nourrit des ambitions identiques.

Il ressortirait donc de tout ceci que les éponges seraient à ce jour les meilleurs candidates au titre de plus ancien animal multicellulaire connu, tout au moins parmi ceux ayant survécu à la suite de leur séparation d'avec les choanoflagellés. Resterait à connaître les pressions sélectives grâce auxquelles leurs ancêtres il y a plus de 600 millions d'années ont « découvert » les avantages qu'apportait la multicellularité.

es éponges sont considérées comme les plus primitives des créatures aujourd'hui vivantes et les plus éloignées des animaux supérieurs dans l'échelle de la vie. Or le séquençage de leur génome a montré qu'elles disposent du même ensemble de gènes impliqués dans la multicellularité que le reste des animaux. Ceci veut dire que cet ensemble de gènes était en place bien avant que les éponges ne se séparent du reste des animaux il y a 600 millions d'années.

1.11.10

Le "temps" : sous un même mot sont désignées deux «choses» différentes que l'on appelle en général le temps psychologique et le temps physique ou cosmologique.
Le temps psychologique correspond à une intime conviction, partagée par chacun d'entre nous, au moins dans les sociétés occidentales : nous changeons en permanence, de façon irréversible et plus ou moins rapidement. Au terme de ceux de ces changements qui nous affectent personnellement, nous mourrons. Comment mesurer la nature et le rythme de ces changements ? Ils paraissent s'inscrire dans un cadre évolutif qui nous est extérieur, de nature à proprement parler indéfinissable, mais qui peut être mesuré, d'abord intuitivement puis avec des instruments de plus en plus précis. Cependant, la sensation subjective que nous avons de l'écoulement du temps n'est pas la même pour tous les instants de la vie et pour toutes les personnes. D'où l'hypothèse qu'il s'agit d'une construction psychologique, de nature culturelle.

Le propre de tout langage un peu complexe est de créer des catégories ou concepts regroupant les entités individuelles répondant à un certain nombre de définitions communes. La pensée moderne se refuse à personnifier ou personnaliser les concepts. Mais la pensée religieuse primitive, animiste ou polythéiste, n'hésite pas à voir des entités vivantes, ressemblant peu ou prou aux hommes mais cachées, derrière chaque catégorie intervenant dans le vie quotidienne.

Nous avons rappelé que, progressivement au cours des deux derniers siècles, les scientifiques se sont mis d'accord sur des processus permettant d'éliminer au maximum la subjectivité. Autrement dit en particulier les biais introduits par telles ou telles croyances individuelles ou locales. Ainsi épurés, les résultats des recherches ont été mémorisés sur des supports externes permettant de les tenir à la disposition de tous, livres, revues, fichiers numériques. Ils sont évidemment mis à jour en permanence.

En revanche, il est évident que les produits des connaissances du moment ne peuvent pas être affranchis des grands ensembles de croyances caractérisant l'époque. Ces ensembles de croyance évoluent eux-mêmes, mais plus lentement et de façon collective. On dit que cette évolution se traduit par des changements de paradigmes. La mémoire collective de la science ainsi obtenue ne garantit pas qu'il s'agisse de connaissances véritablement objectives.

Quelle que soit la terminologie utilisée, on ne peut plus éluder des questions telles que : quand peut-on faire appel aux forces armées et dans quelles circonstances? Ce n’est plus uniquement Washington qui, en cas de danger extrême, conclut à la nécessité d’autoriser des attaques préemptives. Plusieurs pays qui avaient auparavant émis des réserves au sujet de ces frappes considèrent maintenant qu’elles sont nécessaires. Même la France, qui s’y est longtemps et farouchement opposée, revendique, dans sa nouvelle programmation militaire, le droit de déployer ses forces de façon préemptive. La Russie se réserve le droit à la préemption, tout comme l’Australie. Même au Japon, dont la constitution comporte des restrictions sur le plan militaire, le gouvernement a abordé la question des frappes préemptives.

Les États ne sont pas les seuls à s’être penchés sur la préemption; les organisations et les alliances ont fait de même. Lors de son dernier sommet à Prague, en novembre 2002, l’OTAN a adopté une nouvelle doctrine militaire pour combattre le terrorisme (MC 472). Celle-ci inclut la préemption, du moins implicitement, quoique les médias ne se soient généralement pas aperçus du changement. Si les termes préemption et légitime défense par anticipation ne figurent pas dans le document, il est clair que l’OTAN n’écarte pas expressément le recours à des frappes préemptives contre des menaces terroristes. Par ailleurs, l’Union européenne a étudié la question de la préemption dans le cadre de sa nouvelle stratégie de sécurité, qui a été adoptée en décembre 2003.

«Croire est en quelque sorte une fusion affective avec un objet, un être, une idée... avant que le jugement n'en précise la signification, la validité, les constructions idéiques attenantes...Une croyance spontanée présuppose ainsi une certaine aptitude à croire, sans exiger de preuves rationnelles a priori, aptitude que l'on dénomme créditivité; elle s'accompagne de convictions en s'intégrant à des dynamiques intellectuelles qui l'accréditent. La variété des croyances est ainsi liée à la dynamique de l'intrication diversifiée des phénomènes affectifs et intellectuels...La croyance devient pathologique lorsque l'engagement affectif s'avère excessif et déforme sa nature, voire son objet... »

Comme les historiens des sciences l'ont montré depuis longtemps, les grands systèmes de connaissance caractérisant une époque s'inscrivent dans les systèmes de croyance dominant à cette époque. Les influences s'exercent d'ailleurs dans les deux sens. Aujourd'hui, mettre en évidence les croyances individuelles ou collectives des scientifiques dont les recherches ont contribué à former les opinions publiques à travers les âges, n'intéresse pas seulement les historiens et épistémologues, mais chacun d'entre nous.

Or prétendre que la science doit se construire indépendamment des croyances des scientifiques relève d'une illusion. Si ces derniers avaient laissé leurs croyances à la porte de la science, l'édifice serait resté vide. Les études de psychologie cognitive évolutionniste paraissent montrer que, chez tous les humains – nous pourrions dire chez tous les animaux disposant d'un cerveau - les fonctions de type rationnel s'entrelacent en permanence avec les sensations, les affects et l'imaginaire.

La sélection de groupe (super-évolution). Le temps n'est plus où les évolutionnistes considéraient que le moteur de la sélection darwinienne résultait de la compétition d'individus isolés, voire de gènes «égoïstes» entre eux. D'abord considérée comme hérétique, l'hypothèse de la sélection de groupe s'est dorénavant imposée. Selon David Sloan Wilson, un des pères de l'idée, nous sommes entrés au plan méthodologique dans l'ère du holisme. Les groupes, depuis les colonies d'insectes sociaux jusqu'aux sociétés humaines, se comportent comme des superorganismes en entretenant des coopérations internes entre leurs membres. Des écosystèmes entiers peuvent même être analysés de cette façon.

L'exemple de la Chine et de l'Inde, sans mentionner le Japon, qui sont en train de forcer les feux en matière d'exploration spatiale, montre bien que le centre de gravité de l'exploration planétaire est en train de se reporter vers l'Asie.

28.10.10

“Auparavant, les gens collaboraient dans leurs villages. Aujourd’hui, le village, c’est la planète. Ca a débuté avec le développement de logiciels libres et open source, mais c’était une pure coïncidence : les développeurs de logiciels ont été les premiers êtres humains à véritablement embrasser l’internet.

N’importe quel autre groupe peut aujourd’hui connaître de tels bouleversements : on commence à le voir avec des journalistes, chercheurs, hommes politiques, professionnels de la santé, et aujourd’hui avec des fabriquants de voiture…”

La Terre en tant que planète peut certes survivre à bien des
cataclysmes, mais, pour les civilisations, la partie n’a jamais été
jouée à l’avance ni surtout à terme gagnée. Paul Valéry pensait
que les civilisations sont mortelles par l’épuisement de leurs ressorts.
Les signaux qui nous viennent de l’espace et de notre environnement
engagent à penser que ce serait plutôt par la
surabondance de leurs produits : effet de serre et altération du
climat, épuisement des ressources fossiles, réduction de la biodiversité,
accroissement de la consommation d’énergie et pression
démographique, cette conjonction-coalition ne peut conduire
qu’à des scénarios de rupture dont nous n’avons pas l’idée, mais
dont nous refusons de tirer séance tenante les conséquences

30.9.10

Comparer l’Europe aux États-Unis n’a aucun sens, affirme ici André Lebeau, tant leurs histoires sont différentes et l’Europe composée d’États « lourds d’identité et chargés d’histoire ». Le processus d’unification européenne est bien en route, en dépit des résistances nationales, et l’on ne saurait attribuer aux instances européennes la responsabilité de cette marche à petits pas, tant celles-ci, notamment la Commission, se trouvent encore dépourvues des véritables attributions nécessaires à l’exercice du pouvoir. La faute en revient aux États membres. Mais la dimension européenne s’imposera de plus en plus, d’abord au travers de l’adoption d’une politique économique et d’une politique extérieure communes, sous réserve que, confrontée aux défis actuels, l’Union se renforce plutôt que de s’émietter. André Lebeau, conscient des obstacles que rencontre la construction européenne, n’en conclut pas moins, « avec un peu d’optimisme, que la nécessité d’une unité européenne tendra à prévaloir sur la tentation d’une régression vers les fantasmes nationalistes et vers une décomposition de l’espace européen ».

Nos avons domestiqué notre humanité de la même manière que nous avons domestiqué nos chevaux. Notre nature humaine elle-même est la moisson évolutive d’une plantation effectuée il y a 50 000 ans et qui continue de pousser encore aujourd’hui. Le champ de notre nature n’a jamais été statique. Nous savons que génétiquement, nos corps changent aujourd’hui plus vite qu’ils ne l’ont jamais fait dans les millions d’années qui ont précédé. Nos esprits sont reformatés par notre culture. Sans exagération et sans employer de métaphores, nous ne sommes plus les mêmes que ceux qui ont commencé à labourer la terre il y a 10 000 ans.

Le paisible attelage d’un cheval et d’une charrue, la cuisine au feu de bois, le compost et une industrie minimale conviennent sans doute parfaitement à une nature humaine – mais à celle d’une époque agraire reculée. La dévotion contemporaine à une manière d’être aussi ancienne révèle une ignorance de la manière dont notre nature – nos volontés, nos désirs, nos peurs, nos instincts primaires, et nos aspirations les plus hautes – est remaniée par nous-mêmes et nos inventions, et elle exclut de fait les besoins de notre nature. Nous avons besoin de nouvelles taches parce qu’au plus profond de nous-mêmes, nous ne sommes plus les mêmes.

Physiquement, nous sommes différents de nos ancêtres. Nous pensons différemment. Nos cerveaux, sur le plan de la formation et des savoirs, fonctionnent différemment. Le fait de savoir lire et écrire a changé la manière dont nos cerveaux fonctionnent. Plus que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, nous sommes faits de l’accumulation de la sagesse, des pratiques, des traditions, de la culture de ceux qui ont vécu avant nous et de ceux qui vivent avec nous. Nous remplissons nos vies de messages qui proviennent de partout, de savoir, de loisirs envahissants, de voyage, de surplus de nourriture, d’une nutrition abondante et de nouvelles possibilités. Dans le même temps, nos gènes se pressent pour rester en contact avec la culture. Et nous augmentons encore l’accélération de ces gènes de plusieurs manières, not! amment les interventions médicales comme la thérapie génique. Et même, toute tendance du technium – en particulier son aptitude croissante à évoluer – laisse préfigurer à l’avenir des changements encore plus profonds de la nature humaine. Curieusement, beaucoup des conservateurs qui refusent de voir que nous sommes en train de changer défendent aussi l’idée qu’il aurait été préférable que nous ne nous changions pas.

Pour être tout à fait clairs, nous nous sommes faits nous-mêmes. Nous sommes notre première technologie. Nous sommes à la fois l’inventeur et l’invention. Nous avons utilisé nos esprits pour nous fabriquer nous-mêmes et donc, nous, les humains d’aujourd’hui, nous sommes les premiers cyborgs. Nous nous sommes inventés. Et nous n’avons pas fini.”

L’extension de l’homme, c’est le technium. Marshall McLuhan, parmi d’autres, a considéré les vêtements comme une extension de la peau humaine, les roues comme une extension des pieds, les appareils photo et les télescopes comme une extension des yeux. Nos créations technologiques sont une bonne extrapolation des corps que nos gênes façonnent. Si on suit McLuhan, on peut voir la technologie comme une extension de notre corps. Pendant l’âge industriel, il était facile de voir le monde de cette façon. Les locomotives à vapeur, la télévision, les leviers et les moteurs fabriqués par les ingénieurs furent un fabuleux exosquelette qui fit de l’homme un superman.

Mais si on y regarde de près, ajoute Kelly, il y a un défaut dans cette analogie : ces extensions, dans le règne animal, sont le résultat d’une évolution génétique. Les animaux héritent leur programmation génétique de ce qu’ils fabriquent. Pas les hommes. Les programmations de nos carapaces naissent de nos esprits qui nous amènent à créer de manière spontanée des choses que nos ancêtres n’avaient jamais fabriquées, ni même imaginées. Si la technologie est une extension de l’être humain, ce n’est pas une extension de nos gènes, mais de nos esprits. La technologie est donc une extension matérielle de nos idées.

Nous nous sommes très vite, et de manière significative, modifié, mais dans le même temps, nous avons modifié le monde. Depuis l’instant où nous sommes partis d’Afrique pour coloniser tout point d’eau habitable de cette planète, nos inventions ont modifié notre environnement. Les instruments et techniques de chasse des Homo Sapiens ont eu des effets d’une portée considérable : cette technologie leur a donné la possibilité de tuer en masse des herbivores (comme les mammouths ou les élans géants) dont l’extinction a modifié pour toujours l’écologie de territoires entiers. Une fois éliminés ces ruminants dominants, l’écosystème fut modifié à tous les échelons, en permettant la croissance de nouveaux prédateurs, de nouvelles ! espèces de plantes, jusqu’à l’apparition d’un écosystème modifié. Ainsi quelques clans d’hominidés ont-ils changé le destin de milliers d’autres espèces. Quand l’Homo Sapiens sut contrôler le feu, cette technologie particulièrement puissante modifia sur une plus grande échelle encore le terrain naturel. Une aptitude aussi minime que mettre le feu à des étendues d’herbe, le contrôler avec des feux arrière et se servir du feu pour faire cuir des graines a perturbé des régions gigantesques sur tous les continents. Et bien sûr, une fois que nous avons modifié la savane et les prairies, elles nous ont modifiés à leur tour.

Chaque espèce des 6 royaumes, ce qui revient à dire tout organisme vivant sur Terre aujourd’hui, des algues au zèbre, est également évoluée. Malgré les différences dans leur sophistication et dans le développement de leur forme, toutes les espèces vivantes ont évolué pendant le même laps de temps : 4 milliards d’années. Toutes ont été mises au défi de manière quotidienne et se sont débrouillées pour s’adapter sur des centaines de millions de générations le long d’une chaîne ininterrompue.

“L’union profonde entre nous, êtres humains, et nos inventions n’est pas une nouveauté, annonce Kevin Kellly. Si le terme “cyborg” désigne un être en partie biologique et en partie technologique, les humains ont toujours été des cyborgs, et le sont encore. Nos ancêtres ont d’abord ébréché des pierres il y a 2,5 millions d’années pour se faire des griffes. Il y a environ 250 000 ans, ils ont mis au point des techniques assez élémentaires pour cuisiner, ou prédigérer, à l’aide du feu. La cuisine n’est rien d’autre qu’un estomac externe additionnel. Une fois affublée de cet organe artificiel, la taille de nos dents diminua, comme celle des muscles de nos mâchoires et nous pûmes diversifier notre nourriture. Notre invention nous a chang&eac! ute;s.

Nous ne sommes plus les mêmes hommes que ceux qui ont quitté l’Afrique. Nos gênes ont évolué avec nos inventions. Et si l’on ne considère que ces 10 000 dernières années, nos gênes ont évolué 100 fois plus vite que pendant les 6 millions d’années qui ont précédé. Ce n’est sans doute pas une surprise. En domestiquant le chien qui descendait des loups, en sélectionnant le bétail et en cultivant le maïs, nous aussi avons été domestiqués.

Nous nous sommes domestiqués, poursuit Kelly. La taille de nos dents continue de diminuer (à cause de la cuisine, notre estomac externe), nos muscles s’amincissent, nos poils disparaissent. A mesure que nous renouvelons nos outils, nous nous renouvelons aussi. Nous évoluons conjointement à nos technologies et nous sommes devenus par là même très dépendants d’elle. Si toute technologie – chaque couteau, chaque lance – devait être retirée de cette planète, notre espèce ne survivrait pas plus de quelques mois. Nous sommes en totale symbiose avec la technologie, avance l’auteur de What Technology Wants.

24.9.10

Une Grande divergence à l'envers ?

Le produit intérieur brut (PIB) de la Chine devancera celui du Japon en 2010, selon les experts chinois, soit environ 5.064 milliards de dollars contre 5.024. Le taux de croissance du PIB chinois augmente régulièrement, malgré la crise. Le Japon conserve un taux de croissance d'environ 2,3,%, mais il semble devoir stagner pour diverses raisons que nous n'examinerons pas ici. Celui de la Chine au contraire s'établirait pour 2010 à 9%. Cette évolution pose à nouveau la grande question géopolitique actuelle, la Chine va-t-elle atteindre le PIB des Etats-Unis et quand?

Selon les prévisions du Fonds monétaire international, les Etats-Unis sont encore loin en tête. Leur PIB s'établirait à 15 000 milliards de dollars en 2010, soit pratiquement trois fois plus que celui de la Chine et du Japon. La Chine, dont le PIB ne s'élevait qu'à 2 300 milliards de dollars en 2005 ne dépasserait les Etats-Unis comme première puissance économique mondiale, toutes choses égales par ailleurs, que vers 2027. Il convient également de tenir compte du PIB par habitant. En Chine, celui-ci est d'environ 3 600 dollars, contre 46 000 dollars aux Etats-Unis et 33 500 dollars au Japon.

Notons que le PIB de l'Allemagne, troisième puissance économique mondiale jusqu'en 2007 et aujourd'hui quatrième, a atteint 3 352,7 milliards de dollars en 2009, selon le FMI. Il devance ceux de la France (2 675,9 milliards), du Royaume-Uni (2 183,6), de l'Italie (2 118,3) et du Brésil (1 574). L'Europe avec un PIB global d'environ 12.000 milliards de dollars est encore loin devant la Chine, mais à long terme, elle sera distancée compte tenu de la faiblesse de ses taux de croissance.

 

22.8.10

Le rôle et l’influence des sociétés transnationales sur le contenu des règles locales et mondiales se sont accrus en même temps que leurs capacités de gestion, leurs structures multinationales et leurs ressources financières, des ressources qui dépassent le revenu national de certains pays en développement. Leurs contacts avec les gouvernements et les institutions internationales sont empreints de moins de transparence que ceux des organisations non gouvernementales.

Les acteurs de la société civile participent de plus en plus aux processus nationaux et internationaux de concertation politique de même qu’aux diverses conférences mondiales qui se sont succédé depuis une dizaine d’années. En tant que membres de la société civile internationale, les ONGD sont depuis longtemps présentes lors des conférences mondiales, et y utilisent leurs savoirs, leurs compétences et leurs campagnes médiatiques pour attirer l’attention de l’opinion publique sur des dossiers complexes et influencer l’issue des négociations. Ces conférences sont autant de temps forts pour des ONGD aux modes d’organisation et de fonctionnement de plus en plus transnationaux. Jamais elles n’avaient été aussi présentes sur la scène internationale. Une présence qui a d’ailleurs donné naissance à un nouveau terme, « l’ONGisation de la politique mondiale ». Bien que ce terme surestime largement le pouvoir réel de ces organisations, reconnaissons que de nouvelles formes de coopération se sont bel et bien développées à l’occasion de ces assemblées d’apprentissage mondial

Se pose donc la question cruciale de savoir si oui ou non l’UE va assumer ses responsabilités et endosser le rôle actif et constructif de « puissance mondiale fédératrice » dans un monde qui se globalise ou si elle va au contraire choisir l’attitude défensive d’une « Forteresse Europe » éludant toutes ses responsabilités politiques mondiales

L’UE est une puissance économique mondiale, qui apparaît de plus en plus aussi comme une puissance monétaire mondiale. Elle est toutefois loin de pouvoir s’ériger en puissance politique mondiale, ou en puissance militaire mondiale. Son impuissance militaire de même que les rivalités qui déchirent ses Etats membres sur les questions de leadership et de politique étrangères, (comme l’ont récemment prouvé les événements qui ont précédé la guerre en Irak) ont amené les Européens même les plus convaincus à douter de la capacité de l’Union à dépasser son statut actuel de « protectorat de luxe » des Etats-Unis.

Toutes les régions du monde sont progressivement en train de se constituer en zones de coopération et d’intégration.
Cette forme de coopération se décline en accords commerciaux régionaux. Ces dix dernières années, on a assisté à une prolifération de ces accords.

Plus il s’installe, plus le G8 est confronté à des problèmes de légitimité. Sa mission originale consistait à coordonner les politiques économiques de ses Etats membres ; aujourd’hui, le G8 fixe l’ordre du jour de la gouvernance mondiale, et son manque de représentativité suscite de plus en plus de questions critiques. Comment un club aussi fermé, par exemple, peut-il équitablement fixer un ordre du jour qui affecte tant de gens et de nations ? En 1999, le G8, suite à une initiative des Etats-Unis, a établi un forum parallèle, appelé le G20, pour associer un éventail plus large de nations – principalement des marchés émergents – à ses délibérations sur la réforme des politiques financières. Jusqu’ici, cependant, le G8 s’est surtout servi du G20 pour « tester sa réaction » aux initiatives politiques envisagées. Quels types de pays devraient être représentés dans un forum réservé à ce que le G8 qualifie lui-même de « pays systématiquement importants » ?

L’augmentation des interdépendances mondiales a contraint les Etats à assumer une série de nouvelles tâches inhérentes à leur intégration progressive dans des mécanismes multilatéraux de coopération et de prise de décision. En tant que gestionnaire de l’interdépendance, l’Etat croule sous la complexité des missions de coordination au sein de systèmes décisionnels à plusieurs niveaux ; en effet, en l’absence d’un gouvernement mondial, la politique mondiale reste tributaire des négociations et de la coordination entre Etats-nations. Dans le même temps, en Europe comme dans d’autres régions, la coopération autour de projets d’intégration régionale revêt de plus en plus d’importance. Aujourd’hui, une bonne partie de l’art de la gouvernance consiste à coordonner les divers niveaux d’action. L’Etat se doit en outre de défendre les intérêts nationaux dans les assemblées internationales malgré les pressions parfois négatives exercées par ces dernières. Il est l’objet des décisions prises au niveau multilatéral et est tenu d’appliquer ces décisions à l’intérieur de ses frontières.

Alors que le rôle des institutions internationales accapare de plus en plus les débats sur les questions de gouvernance mondiale, on ne peut appréhender la problématique de la gouvernance mondiale dans son ensemble si l’on oublie ceux qui sont l’interface entre les intérêts nationaux et le système multilatéral. Les Etats-nations sont et demeurent les principaux acteurs du système international ; même si les accords interviennent de plus en plus dans un cadre international, c’est bien l’espace national qui reste le centre de gravité des décisions et de la mise en oeuvre. Les Etats-nations sont pratiquement les seuls à pouvoir prendre des décisions officielles. C’est pourquoi ils sont les piliers de l’architecture de la gouvernance mondiale. Il serait prématuré de parler de « la fin de l’Etat-nation ». A quelle autre institution pourrait-on demander d’assumer les fonctions de protection inhérentes au contrat social, de fournir les biens collectifs et de garantir la paix et le bien-être social ? Il faudrait d’ailleurs reformuler la question : comment les Etats-nations peuvent-ils surmonter une montagne d’inertie et de droits acquis et conjuguer leurs efforts pour fournir les « biens collectifs mondiaux » (comme la paix, un environnement sain, la stabilité des marchés financiers, etc.) et éviter les « calamités mondiales » ?

3. Démocratiser la gouvernance interne des IFI
Avec les structures de gouvernance actuelles, difficile ne pas arriver à la conclusion que le FMI et la Banque mondiale ne sont que des instruments au service des pays les plus riches. Les IFI devraient donc réformer leurs structures de gouvernance interne pour mieux représenter leurs membres via un réaménagement de la composition des conseils d’administration, un rééquilibrage des droits de vote, l’instauration d’un vote officiel et une sélection au mérite des dirigeants des organisations. Elles pourraient devenir plus transparentes en rendant publics les transcriptions et les comptes rendus des réunions du conseil d’administration et en instituant des sous-conseils qui contrôleraient les décisions prises par le personnel du Fonds et de la Banque.

Le FMI et la Banque mondiale, qui ont entériné le Consensus de Monterrey sur le financement du développement, ont également fait de la gouvernance une problématique prioritaire en l’inscrivant à l’ordre du jour de leurs réunions de printemps 2003. Reconnaître un problème ne signifie pas pour autant le résoudre. L’idée d’apporter des changements significatifs au mode de représentation ou à la structure de vote des IFI se heurterait à une opposition farouche des pays plus riches, car ils devraient alors céder une partie de leur pouvoir aux pays en développement. Les pays riches préféreraient régler le problème par un renforcement des capacités des pays du Sud à négocier avec les IFI et une amélioration du personnel de représentation auprès de ces institutions. Cette proposition, bien que nécessaire, est loin d’être suffisante si l’on veut corriger le plus vaste problème d’iniquité dans la gouvernance de ces IFI.

La plupart d’entre eux ont signé les programmes d’action des conférences onusiennes, mais n’ont tenu qu’une toute petite partie de leurs engagements. Nous restons confrontés à une nébuleuse d’intérêts et de pouvoirs qui s’opposent à une culture de coopération multilatérale.

La plupart des propositions de démocratisation des NU se sont articulées autour de la création d’un cadre accordant une représentation plus équitable à la majorité des pays du Sud au sein des instances décisionnelles en général, et du Conseil de sécurité en particulier. Au sein de ce Conseil, la répartition des sièges et le droit de veto détenu par les cinq membres permanents sont une relique de l’après-guerre et sont en soi complètement obsolètes. La plupart des propositions de réforme demandent un élargissement de la composition permanente en accord avec la réalité du monde d’aujourd’hui, le remplacement du droit de veto par la majorité qualifiée, et par-dessus tout une représentation adéquate de toutes les régions du monde.

Si le système onusien est critiqué de toutes parts, c’est sans doute parce qu’on attend à tort de lui qu’il façonne la politique mondiale, qu’il maintienne une paix menacée en plusieurs points du globe et trouve des solutions à des problèmes mondiaux. Il ne dispose pourtant ni des instruments ni des pouvoirs de décisions nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Une organisation composée d’Etats membres comme les Nations Unies ne peut en outre jamais aller au-delà de ce que ses membres – et surtout ses principaux bailleurs – l’autorisent à faire. Sa marge de manoeuvre est limitée par les niveaux de ressources politiques et financières mises à sa disposition ; l’efficacité de ses missions de paix dépend des capacités militaires fournies par ses membres les plus puissants. Le Congrès américain, qui ne tient pas à ce que les Nations Unies (NU) jouent un rôle significatif dans la politique mondiale et qui préfère un hégémonisme unilatéral, refuse depuis de nombreuses années de verser à l’ONU la totalité de la cotisation normalement due par les Etats-Unis, ce qui a pratiquement paralysé le fonctionnement normal de l’Organisation.

Le rapport 2002 du PNUD sur le développement humain relève également une sous-représentation des pays du Sud, où vit la majeure partie de la population mondiale, dans les organisations internationales les plus puissantes (le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le FMI et la Banque mondiale). Les théoriciens de la gouvernance mondiale estiment que les problèmes mondiaux ne seront pas résolus tant que le sentiment d’impuissance et d’exclusion continuera de croître et tant que certaines régions et certains groupes de pays n’obtiendront pas de représentation adéquate dans les lieux de pouvoir de la politique et de l’économie mondiales.

Au vu de ce qui précède, la démocratisation des organisations internationales apparaît comme essentielle pour asseoir leur légitimité en tant qu’institutions et pour obtenir l’adhésion des pays et des sociétés du monde à leurs décisions. Leurs déficits démocratiques deviennent d’autant plus évidents que les structures politiques et les négociations globales marquent les sociétés et les économies domestiques de leur empreinte. Le manque de transparence et de redevabilité des organisations internationales ainsi que la répartition inégale des pouvoirs et des possibilités de participation à ces organisations sont autant de motifs d’inquiétude grandissante.

Tant que les représentants des pays en développement resteront exclus d’assemblées ayant un pouvoir considérable sur les économies en développement (le Forum sur la stabilité financière, par exemple, qui délibère et décide de l’avenir des marchés financiers internationaux), de nombreux pays en développement continueront de rejeter des formes de gouvernance mondiale empreintes d’élitisme et d’exclusivité. Une participation réelle et équilibrée du Sud est par conséquent vitale pour le fonctionnement efficace de tout système de gouvernance mondiale progressiste.3

Si les nations les plus riches et les plus puissantes se refusent elles-mêmes à passer à un système de souveraineté partagée et de recherche de solutions communes à des problèmes communs, l’émergence de la gouvernance sera paradoxalement, bloquée à la fois par les Etats-nations les plus puissants et par les Etats-nations les plus faibles.

La gouvernance mondiale progressiste se heurte à un quatrième obstacle : de nombreux gouvernements du Sud cherchent à défendre leur « souveraineté nationale » contre ce qu’ils considèrent souvent comme une ingérence excessive. L’idée de transférer des éléments de leur souveraineté nationale vers des organisations inter- ou supranationales, ce qui, dans un monde plus équitable ferait oeuvre utile, est rejetée par de nombreux pays en développement. Les processus décisionnels de ces institutions échappant largement au pouvoir d’influence des acteurs faibles, ceux-ci n’y voient pas le moyen de renforcer les capacités politiques de résolution des problèmes d’un Etat-nation confronté aux défis de la mondialisation ; ils n’y voient pas non plus un mécanisme leur permettant d’affronter les problématiques mondiales. Plutôt que de considérer ces processus comme un aiguillon de l’interdépendance, ils y voient au contraire une menace à leur indépendance nationale. Un sentiment qui s’est considérablement renforcé depuis le début des années ‘80

Un deuxième élément est celui de la redistribution des pouvoirs dans la politique mondiale. Pour l’heure, cette répartition est inégale et oligarchique : dans les institutions clés du système mondial, les leviers du pouvoir sont entre les mains d’un club de pays, en particulier ceux du G8, qui n’accorde pas facilement la carte de membre. Alors qu’ils réglementent ou démantèlent les cartels et les monopoles dans le cadre de leur politique intérieure, ces mêmes gouvernements bétonnent leur niveau de pouvoir et d’influence disproportionné au sein des institutions multilatérales. Les gouvernements des pays en développement s’en sont évidemment aperçus. Une redistribution majeure des pouvoirs de manière à assurer la démocratie et la transparence dans les processus décisionnels mondiaux est donc une autre condition essentielle à l’avènement d’une gouvernance mondiale progressiste.

Quelles sont les chances de réussite d’une coopération mondiale dans un contexte aussi marqué par les asymétries sociales ? Un scénario de confrontations accrues n’est-il pas plus probable – avec des conflits autour des ressources en eau et d’autres biens environnementaux rares, parallèlement à une escalade de la violence dans le sillage d’un état défaillant et d’instabilités régionales causées par des afflux massifs de réfugiés et de migrants économiques ?

L’émergence d’une gouvernance progressiste se heurte à l’évidence aux politiques unilatérales des Etats-Unis, et les événements du 11 septembre 2001 n’ont fait qu’aggraver la situation. Les Etats-Unis ont refusé de signer de nombreux accords multilatéraux (du Tribunal pénal international au processus de Kyoto en passant par la Convention sur les armes biologiques et la Convention contre la torture), considérant ces accords comme des atteintes à sa souveraineté. Les Etats-Unis sont convaincus que leur puissance économique et militaire obligeront les autres à s’aligner d’une manière ou du l’autre sur leur position. Cette attitude conduit de plus en plus de pays en développement à prendre le discours américain en faveur de la libéralisation économique et l’ouverture des marchés avec cynisme. L’Union européenne est d’ailleurs tout aussi hypocrite – et c’est ainsi que la considèrent les pays en développement et leurs citoyens – lorsqu’elle se cramponne à ses subventions agricoles, qui détruisent les moyens d’existences des agriculteurs des pays en développement par l’écoulement à perte de produits alimentaires sur les marchés mondiaux et lorsqu’elle leur ferme les portes des marchés à l’exportation.

Il faudrait d’ailleurs reformuler la question : à qui incombe la responsabilité de fournir les « biens collectifs mondiaux » (comme la paix, un environnement sain, la stabilité des marchés financiers, etc.) et d’éviter les « calamités mondiales » que sont le terrorisme, ou la traite des femmes et des enfants ?

Dans de nombreux domaines, le pouvoir de changement continue d’osciller de manière significative entre le secteur privé et le secteur public, et entre les gouvernements nationaux, les sociétés transnationales et les institutions internationales. La commission des Nations Unies sur la gouvernance mondiale (CGM) prévoit un multilatéralisme davantage organisé au plan national et note par ailleurs que « la gouvernance mondiale est faite d’un grand nombre d’acteurs : de personnes qui agissent ensemble de manière formelle ou informelle, selon des schémas communautaires ou nationaux, sectoriels ou intersectoriels, par le biais d’instances non gouvernementales et de mouvements de citoyens, et à la fois sur un plan national et international … » Parmi ces acteurs globaux figurent les sociétés transnationales, dont les moyens financiers dépassent parfois le produit national de maints pays en développement – ce qui donne une idée de leur pouvoir d’influence sur le politique – de même que des réseaux organisés de la société civile dont font notamment partie les organisations non gouvernementales de développement (ONGD).

La gouvernance mondiale, fondée sur un système inter-relationnel proche de celui de la toile mondiale, prouve que l’acception traditionnelle de la souveraineté nationale, déjà érodée par la mondialisation économique, est devenue la relique anachronique d’un modèle de relations internationales éculé, basé uniquement sur l’Etat-nation.

La gouvernance mondiale, pour sa part, s’articule autour de diverses formes et niveaux de coordination, de coopération et de prises de décisions collectives au plan international. Ce sont les organisations internationales qui exercent cette fonction de coordination et qui contribuent à la formation de modes de perception mondiaux. Les négociations internationales traduisent cette volonté de coopération en systèmes de règles contraignantes et de sanctions, en vertu desquels les Etats prennent des engagements qui les obligent à s’attaquer à des problèmes communs. Ces régimes – les processus de négociation et les institutions qui les mènent à bon terme – sont considérés comme les éléments de base d’une « gouvernance sans gouvernement ». Conscientes qu’il en va de leur propre intérêt, même des puissances hégémoniques peuvent concourir à ces régimes pour réglementer des matières qui échappent à leur contrôle national, tout en sachant, par ailleurs, que leur puissance et leur influence éviteront des résultats qui iraient à l’encontre de leurs intérêts.

Voici plus de vingt ans, Willy Brandt, dans son introduction du Rapport Brandt (1980), écrivait déjà : « que cela nous plaise ou non, nous sommes confrontés à des problèmes qui affectent de plus en plus l’ensemble de l’humanité et qui devront trouver des solutions de plus en plus internationalisées. La mondialisation des risques et des enjeux – la guerre, le chaos, l’autodestruction – requiert une sorte de « politique intérieure mondiale » qui dépasse les visions de clocher, qui transcende les frontières nationales. »

En 2002, notre monde a été le théâtre de 42 guerres et conflits violents1, dont plus de la moitié sur le territoire africain. La plupart de ces conflits, quoique de nature ostensiblement ethnique, linguistique ou interreligieuse, ont été déclenchés, attisés et entretenus par des facteurs économiques et géopolitiques et ont des origines extérieures au lieu du conflit. Des ressources naturelles précieuses ou stratégiques, comme le pétrole, sont souvent le principal facteur du déclenchement ou de la poursuite d’un conflit. Il en va de même pour la pauvreté. Un fait qui a amené feu Julius Nyrere, ancien président de la Tanzanie, à déclarer que « la pauvreté est comme un baril de poudre qui n’attend plus qu’une allumette ».

Le point de départ de la CIDSE, de CI et de leurs organisations membres a été de constater que ce monde se caractérisait par d’immenses inégalités de pouvoir, de richesses, de revenus et de bien-être social entre les nations et les peuples. Un cinquième de la population mondiale, soit 1,2 milliards d’êtres humains, doivent survivre avec moins d’un dollar par jour. La moitié de la population mondiale vit avec deux dollars ou moins par jour. Dans de nombreux pays en développement, la lutte contre la pauvreté est une bataille perdue ou essuie de graves revers. Dans l’évaluation la plus sombre jamais connue des perspectives de réalisation des objectifs de développement pour le millénaire (ODM), le Rapport du PNUD sur le développement humain, version 2003, conclut qu’au rythme de progression actuel, l’Afrique subsaharienne n’arrivera à réduire de moitié le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour qu’en 2047, soit avec 32 ans de retard sur la date initialement prévue (2015) pour la réalisation de cet ODM. Lorsqu’on sait que dans la plupart de ces pays l’espérance de vie tourne autour de quarante ans, on se rend compte qu’un tel retard équivaut à la durée de vie de toute une génération. Bien que la Chine et l’Inde, pays fortement peuplés, soient sur la bonne voie et exercent une influence majeure sur les chiffres agrégés du développement mondial, 54 pays sont aujourd’hui plus pauvres qu’ils ne l’étaient en 1990.

13.8.10

Dans l'économie moderne, les inventeurs et producteurs produisent des connaissances diverses qu'ils utilisent pour réaliser les biens et services qu'ils mettent sur le marché. Mais en même temps, du fait de la numérisation croissante des échanges d'informations scientifiques et techniques, ces connaissances circulent bien au delà des besoins de ceux qui les ont initialement produites. En circulant, elles s'enrichissent par symbioses et mutations, créant précisément le coeur de ce que l'auteur nomme le capital cognitif. Celui-ci, qui est de plus en plus mondialisé, représente les vraies valeurs porteuses d'avenir à partir desquelles s'élaborent les nouveaux produits et services, les nouveaux comportements créatifs et finalement le monde de demain dans son ensemble.

Ce capital cognitif n'a plus que de lointaines ressemblances avec le vieux capital traditionnel, celui constitué par les ressources naturelles et les investissements agricoles et industriels classiques. Les entrepreneurs et les pays qui s'enrichissent actuellement sont ceux qui ont compris cette évolution et qui tentent d'attirer et de valoriser à leur profit le capital cognitif, brevets et savoir-faire, hommes et cellules productives au mieux susceptibles de les créer. Mais il ne s'agit encore que de précurseurs. La grande majorité des gouvernants, des chefs d'entreprises, des économistes, des syndicalistes et des travailleurs restent focalisés sur les anciennes formes de capital, beaucoup plus rigides et peu adaptatives. Ils continuent à se battre pour conserver ce capital traditionnel et les profits et salaires en résultant, en négligeant les perspectives autrement plus riches qu'offrirait la valorisation du capital cognitif. Ils devraient en fait faire les deux. 

Les externalités négatives représentent les gâchis et pertes non comptabilisées, qui pèsent inévitablement sur les sociétés qui les génèrent: pollutions, déchets, sous-formation des individus, conflits et finalement guerres. On conçoit que des systèmes de comptabilité nationale, commerciale et budgétaire qui refusent de prendre en compte les unes et les autres pratiquent en permanence le déni des réalités.

L'hypothèse centrale de la socionomique, présentée en premier lieu par le livre, se résume en deux postulats principaux :

1. Les humeurs collectives évoluent de façon cyclique, un peu comparable aux cycles économiques de Kondratief, entre euphorie ou optimisme et récession ou pessimisme. On peut observer des états intermédiaires: euphorie pouvant aller jusqu'à l'ubris et récession pouvant aller jusqu'à la dépression durable. Détecter des cycles ou vagues dans un phénomène naturel est toujours complexe et sujet à contestation. La socionomique propose d'utiliser le modèle proposé par Ralph Elliott dans les années 1930 pour l'analyse des flux financiers (Elliott Wave Principle). Mais d'autres logiques pourraient être mises en évidence. Nous renvoyons sur ce point aux annexes du livre.

2. De l'humeur globale d'une population découlent de nombreux événements, notamment au plan de l'activité politico-économique. Celle-ci évolue de façon elle aussi cyclique, apparemment corrélée avec les cycles de l'humeur. L'optimisme est généralement corrélé à la croissance, le pessimisme à la récession. Corrélation ne veut pas dire déterminisme strict. On dira seulement qu'en période d'optimisme, il se trouve de fortes probabilités pour que l'activité économique soit en croissance, et inversement en période de pessimisme.

Des expériences de laboratoires confirment ainsi ce que la pratique millénaire avait montré. Les humains, loin de chercher en permanence à s'exploiter réciproquement (ce qu'ils font aussi), trouvent de solides récompenses dans l'assistance, le partage et la coopération. Fehr a mis en évidence quelques unes des bases neurales ou des stimulants endocriniens favorisant de tels comportements. Il n'y a d'ailleurs rien de surprenant puisque les biologistes signalent depuis quelque temps l'existence de décisions relevant de ce que nous appelons le sens moral chez divers animaux, quand il s'agit notamment de partage de nourriture.

Ceci dit, comme nous l'indiquons plus haut, les corporatocraties occidentales ne bénéficieront sans doute pas très longtemps de cette possibilité d'exploiter le laxisme salariale et réglementaire qu'elles ont trouvé en Chine, souvent à l'invitation des autorités chinoises. Les décideurs économico-politiques chinois ont parfaitement compris qu'ils pouvaient, au fur et à mesure qu'augmentaient les compétences technologiques des travailleurs et cadres chinois, reprendre pour eux l'ensemble des responsabilités caractérisant une corporatocratie: maîtrise des investissements notamment de ceux comportant une forte valeur ajoutée scientifique et technique, maîtrise de l'accès aux sources de matières premières extérieures (énergie, minéraux, produits agricoles), maîtrise des flux financiers et taux de change permettant l'importation, l'épargne, le profit et le réinvestissement, maîtrise des marchés par une confrontation directe sur leurs terrains avec les grands concurrents non chinois. 

Dorénavant, on a remarqué que ces décideurs veulent doter l'économie de toutes les technologies de pointe permettant de mener de grands programmes stratégiques, dans l'énergie, l'aérospatiale, les biotechnologies, etc. La formation de chercheurs et d'ingénieurs par milliers, dorénavant devenue une priorité, fournira la base des nouveaux investissements. Par ailleurs, les «grands contrats» que recherchent encore pour leur part certains dirigeants occidentaux sont dorénavant accompagnés de clauses de transfert de technologies telles que les firmes occidentales qui y souscrivent se condamnent elles-mêmes à abandonner progressivement les marchés chinois et plus généralement asiatiques, sinon mondiaux. Ceci d'autant plus que la plupart des Etats occidentaux, même aux Etats-Unis, leur retirent les aides à la recherche dont elles auraient besoin pour continuer à progresser. 

Dans toute compétition darwinienne, il y a des gagnants et des perdants, des dominants et des dominés. L'homo sapiens,  en quelques centaines de milliers d'années, s'est imposé à la plupart des autres espèces dites supérieures, qu'il est aujourd'hui en voie d'éliminer. Un mécanisme analogue a marqué la compétition darwinienne entre corporatocraties anthropotechniques. On sait que l'histoire du monde récente a vu s'affronter des corporatocraties européennes, britannique, allemande, française, jusqu'à ce que s'affirme, à partir des deux guerres mondiales, la corporatocratie américaine. Celle-ci s'est organisée, sous la contrainte de ses impératifs de croissance et de domination, en un véritable empire politique, diplomatique, militaire, industriel et scientifique. L'objectif, conscient ou non, était (et demeure) d'exercer une domination mondiale dans tous les registres du pouvoir (full spectrum dominance). Les premiers assujettis à cette domination ont été les pays latino-américains. Mais l'Europe, affaiblie par ses guerres internes et ses divisions, a vite été considérée par l'empire américain comme devant lui fournir la base arrière de sa puissance – ceci tout au moins jusqu'au moment où l'exploitation de l'Europe, de plus en plus affaiblie, a commencé à perdre de son intérêt au profit des perspectives offertes par les pays dits émergents. 

Les anciennes régulations, si elles avaient été imposées par des pouvoirs bio-anthropologiques indiscutables (dominants, mâles, chefs) s'étaient maintenues dans la mesure où elles assuraient certains équilibres: entre catégories d'individus (égalitarisme social), entre pouvoirs locaux (démocratie), entre humains et milieux naturels (technocratie se voulant éclairée, voire scientifique). Elles ont été au XXe siècle prises en charge par les organisations étatiques, administratives et de service public, assurant, tout au moins en occident, un minimum de partage démocratique du pouvoir. Or pour les nouvelles corporatocraties anthropotechniques, les régulations demeurées en vigueur (lois et règlements nationaux, traités internationaux) représentent des obstacles à l'extension de leur propre pouvoir sur les choses et les hommes. 

Les corporatocraties anthropotechniques visent donc à se substituer aux régulateurs qui pourraient vouloir continuer à s'imposer à elles, autorités gouvernementales, administratives ou liés à l'exercice des services publics. Elles visent pour cela à racheter dans le cadre d'un processus dit de privatisation les moyens dont disposent encore les administrations et les services publics. Elles se font fortes alors d'assurer elles-mêmes, plus efficacement et de façon moins coûteuse, les missions de ces services. Par ailleurs elles affirment pouvoir s'autodiscipliner spontanément pour respecter les déontologies et règles d'équité imposées par leurs statuts aux administrations et services publics. 

Selon l'hypothèse darwinienne qui est la nôtre, les corporatocraties anthropotechnique sont en concurrence pour la survie. Cette concurrence découle naturellement de la compétition entre organismes biologiques. Les corporatocraties anthropotechniques se disputent l'accès aux ressources naturelles et humaines, ce qui provoque des conflits entre elles, au détriment de coopérations symbiotiques pouvant préserver des intérêts communs dans un monde dont les ressources sont de plus en plus rares. Les corporatocraties vivant de l'exploitation des technologies traditionnelles dominent encore celles tentant de se faire une place en développant des technologies nouvelles. Mais le rapport de force entre technologies pourra changer, au terme de crises d'adaptation plus ou moins violentes. L'évolution technoscientifique spontanée et incontrôlable sera le ressort principal de ces changements.

On peut effectivement donner de nombreux exemples montrant que, lorsque le progrès scientifique et technique se généralise, suivi d'une élévation des niveaux de vie et d'accès à la culture, les valeurs dites humanistes et les pratiques s'en inspirant gagnent du terrain. Ainsi les femmes accèdent à plus d'autonomie, les enfants à une meilleure éducation, les hommes à plus de tolérance et d'esprit coopératif. 

Outre la survenue de la Singularité ainsi décrite, le scénario optimiste fait valoir que la progression rapide des ressources devrait entraîner une progression radicale des valeurs morales, ceci au niveau de l'humanité toute entière. Si, même sans atteindre aux dimension que nous venons d'évoquer, l'explosion scientifique et technique enregistrée depuis quelques décennies se poursuivait en s'accélérant dans l'avenir, elle devrait rendre les humains moins belliqueux et destructeurs qu'ils ne le sont actuellement. Ceci parce que c'est la raréfaction des ressources au regard de la croissance des besoins qui a toujours constitué le moteur le plus important des conflits géopolitiques. La perspective de nouvelles ressources, fussent-elles artificielles, lesquelles pourraient aussi être mieux réparties, conduirait les différents blocs géopolitiques à coopérer au lieu de s'affronter, afin d'accélérer la production desdites ressources. La généralisation et la densification des réseaux de communication des connaissances soutiendraient ce processus bénéfique.

A cet espoir, beaucoup de sociologues répondront que les conflits pour la domination et le pouvoir ne sont pas uniquement provoqués, au moins chez les humains, par le besoin de s'approprier des biens de consommation. Ils tiennent à des racines plus profondes. En appui de cette thèse, ils feront valoir qu'aujourd'hui les recherches les plus innovantes sont menées dans des laboratoires travaillant pour la défense et la sécurité civile, contribuant non à l'enrichissement de tous mais à une accélération de la militarisation, du contrôle portant sur les individus et finalement des conflits

A quoi peut servir la géopolitique, nous sommes-nous demandé en introduction ? A mieux comprendre le monde actuel et son évolution, avions nous répondu, en évitant les simplifications abusives souvent répandues volontairement par des acteurs de la géopolitique qui cachent leur jeu. Mais comprendre ne se limite pas à jeter un regard informé sur le monde. Comprendre doit servir à agir plus efficacement, plus intelligemment, dans le monde où l'on se trouve. Si, comme nous proposons de le faire, nous voulions établir des stratégies politiques intéressant l'avenir de l'Europe, il conviendrait de disposer de scénarios susceptibles d'éclairer ce même avenir. Ces scénarios, qui en l'état ne seraient que de simples hypothèses, permettraient cependant de tenir compte des contraintes géopolitiques paraissant les plus probables au moment où ces stratégies seraient élaborées.

12.8.10

Le modèle clausewitzien tend à présenter la guerre comme une série de coups échangés de part et d'autre d'une ligne de front par des adversaires mutuellement bien identifiés. Ces derniers sont des États-nations, ancrés dans des territoires dont les armées défendent les frontières. Les formes de la guerre sont conditionnées par des distinctions claires entre l'intérieur et l'extérieur, et entre les domaines civil et militaire. Les fronts sont délimités, les médias sont au service de la cohésion nationale pour soutenir l'effort de guerre, les populations civiles et les pays non concernés ne pâtissent des effets de la guerre que du fait de retombées considérées comme indirectes.

La guerre du Kosovo, l'intervention américaine en Afghanistan, la seconde guerre du Golfe ont confirmé l'émergence d'un autre modèle de guerre. Dans celui-ci, les frontières, les fronts et les distinctions classiques ne sont plus clairement marqués. Les entreprises multinationales pèsent plus lourd que certains États, et les États-Unis, désignant l'attaque des tours du World Trade Center en 2001 comme un “acte de guerre”, reconnaissent du même coup à une organisation terroriste un statut d'alter-ego, de quasi-État. Les médias n'agissent plus au service univoque du pays et ont une influence dispersive, les cibles suscitent des discours antagoniques, et celui qui écrase l'adversaire par trop de morts perd la guerre devant sa propre opinion publique. Les interventions de pays extérieurs ne sont plus clairement ressenties comme des ingérences. L'ennemi peut être une armée conventionnelle, ou un groupe de francs-tireurs ou un réseau terroriste, qui se confondent avec une population qui peut être sympatisante, passive ou hostile. Certaines opérations militaires tendent à être conduites, et d'ailleurs à être présentées médiatiquement, comme des opérations de police. La figure de l'ennemi “intérieur” menace de ressurgir dans un temps de paix conçu comme préparatoire à la guerre, voire comme le temps d'une guerre qui ne dit pas son nom.

La figure de l'ennemi prépare, accompagne et soutient l'effort de guerre. Des rhétoriques et des scénographies la construisent. Des savoirs à prétentions scientifiques ou religieuses la légitiment. Des médias la transmettent.

Les relations franco-allemandes depuis 150 ans permettent d'observer ce construit, son exacerbation passionnelle pendant et entre trois guerres successives, en même temps que son évaporation tout aussi remarquable après les années 1950 avec la construction européenne. Allemands et Français, ennemis héréditaires d'hier, sont devenus la colonne vertébrale de l’Europe. Ce retournement en une génération de représentations hostiles pourtant séculaires a définitivement sapé la crédibilité des discours qui depuis nous proposent des figures hostiles de remplacement : l’Union soviétique après 1945, le terrorisme islamiste depuis la chute du Mur de Berlin.

Contrastant avec les passions qu'elle suscite et avec l'impossibilité pour les adversaires de l'interroger sur le moment, l'inconsistance de la figure de l'ennemi telle qu'elle s'avère dans l'après-coup, sa versatilité au gré des discours qui la fabriquent et la scénarisent, révèlent qu'elle a une fonction. Les adversaires sont unis par leur désignation mutuelle comme ennemis, qui renforce par réciprocité leurs identités propres. Que deviendrait chacun s'il n'avait pas un ennemi sur qui compter pour se rassurer sur lui-même ? La société, l’individu peuvent-ils exister sans lui ?

La figure de l'ennemi prépare, accompagne et soutient l'effort de guerre. Des rhétoriques et des scénographies la construisent. Des savoirs à prétentions scientifiques ou religieuses la légitiment. Des médias la transmettent. L'ennemi n'existe pas objectivement : c'est un construit, intersubjectif et social, qui a une fonction. Les adversaires sont unis par leur désignation mutuelle comme ennemis, qui renforce par réciprocité leurs identités propres. Que deviendrait chacun s'il n'avait pas un ennemi sur qui compter pour se rassurer sur lui-même ? La société, l’individu peuvent-ils exister sans lui ?

Si l'on considère enfin que la guerre, sous ses multiples formes, a toujours constitué un événement sociologique majeur à prendre en considération par la géopolitique, il conviendra que celle-ci s'interroge sur ses origines multimillénaires, ses formes récentes et ses perspectives, si l'on peut dire, d'avenir. La guerre de 4e génération et le terrorisme, associés de plus en plus souvent à l'engagement de jeunes enfants et ayant de beaux jours devant eux, ne devront pas être oubliés. Ce travail d'analyse est fait en permanence par les bureaux d'études et écoles participant du complexe militaro-politico-industriel des grands Etats. Il est absolument nécessaire de s'intéresser à leurs réflexions, dès lors du moins que celles-ci ne restent pas couvertes par le secret défense. Mais il existe aussi une science universitaire spécifique portant sur les guerres et conflits, désignée en France par le nom étrange de polémologie, dont les enseignements mériteraient d'être mieux connus.

Une forme de domination différente, dont les racines remontent très haut dans l'histoire, est jugée à juste titre de plus en plus insupportable en Occident, mais est encore parfaitement admise dans d'autres parties du monde. Il s'agit du sexisme, plus précisément de la domination exercée par les hommes sur les femmes et accessoirement sur les enfants. La question est trop connue pour que nous nous y attardions ici. En termes géopolitiques, évoquons seulement deux points importants: les mouvements principalement occidentaux de libération de la femme pourraient-ils de l'extérieur promouvoir l'éducation et l'autonomie des femmes dans les pays qui ne l'acceptent pas encore ou auraient-ils l'effet contraire, en provoquant des réflexes de défense nationaliste? Et, seconde question, si le niveau de vie s'élevait spontanément suffisamment dans ces pays pour que de plus en plus de femmes puissent acquérir une autonomie suffisante pour s'émanciper, tandis que dans les pays riches s'établirait une véritable égalité hommes-femmes (ce qui est encore loin d'être le cas)

Nous ne pouvons, à nouveau, tellement le sujet est riche, prétendre en donner une vision suffisamment complète. Indiquons seulement les grandes catégories de comportements, s'exerçant à travers des institutions, dont le poids sur les mécanismes étudiés par la géopolitique se fait constamment sentir. Il y a d'abord tout ce qui relève du pouvoir et de la domination. Chez la plupart des animaux sociaux, comme chez les humains, s'exercent des mécanismes par lesquels des minorités de dominants s'imposent à des majorités de dominés. Chez les humains cependant, les dominés ne se laissent plus aujourd'hui aussi passivement qu'auparavant contrôler par les dominants, mais ils disposent de peu de moyens pour s'opposer pacifiquement à ceux-ci. La tentation de la révolte violente, dite en termes militaires de la guerre du faible au fort ou guerre de 4e génération, s'offre alors à eux. Mais peu s'y engagent, compte tenu des risques. La sociologie, comme la géopolitique, ont évidemment intérêt à étudier scientifiquement ces phénomènes de domination, ainsi que la façon dont ils changent de forme mais non de nature, dans le cadre des évolutions technologiques et démographiques.

Les autres questions posées à la géopolitique par l'évolution des populations et leurs mouvements sont très nombreuses. Nous ne pouvons pas les recenser ici. Bornons nous à signaler la question très importante et immédiate de la circulation des personnes diplômées ou disposant d'une bonne compétence professionnelle. Tous les pays développés cherchent à les attirer, faute de pouvoir former suffisamment de nationaux. Mais au delà d'un certain niveau, de nouveaux problèmes apparaîtront nécessairement. De quelle sécurité, par exemple, dans la perspective d'une relation conflictuelle avec la Chine, pourrait jouir la science américaine, puisque dès maintenant une majorité de ses chercheurs appartient à la diaspora asiatique?

On conçoit aisément que la géopolitique ne puisse se passer d'études scientifiques aussi poussées que possible portant sur les populations. Celles-ci constituent le facteur sans doute le plus important de toute analyse ou de toute prospective intéressant les relations entre Etats et l'évolution de leurs institutions. D'une façon générale, c'est la démographie qui fournit les données les plus utilisées: effectifs, âges, sexes, natalité, morbidité, répartition géographique, mouvements de migration internes et externes. Pour bien faire, il faudrait y ajouter des informations sur l'état de santé, les qualifications professionnelles, le revenu des individus, etc.

Ces données devraient idéalement être recueillies à l'échelle mondiale, mais en fait seuls les pays les plus développés peuvent les fournir avec la précision nécessaire. Il faut en effet pour les obtenir mettre en place des opérations de recensement des individus, connues depuis l'antiquité, mais qui demeurent encore lourdes, lentes et coûteuses. Les pays très peuplés, Chine, Inde, Indonésie, Nigéria, sont aussi des pays qui faute de moyens d'enquête suffisant ont du mal à obtenir à obtenir des statistiques aussi précises que celles fournies par les pays développées.

En matière d'histoire, dont nous l'avons dit, une bonne connaissance est indispensable pour comprendre le présent: qui sommes nous et d'où venons nous, de nouveaux développements sont eux aussi à prendre en considération. C'est vers un horizon arrière plus lointain que celui de l'histoire contemporaine que les progrès des connaissances permettent dorénavant de porter le regard, autrement dit vers l'Antiquité (2 à 3 mille ans avant le présent) et la préhistoire (au moins 200 mille ans avant le présent). On rejoint là l'anthropologie préhistorique, c'est-à-dire la façon dont les hommes dits modernes se sont progressivement dégagés, par l'usage des outils et le langage, des autres primates et de leurs ancêtres mammifères plus lointains. Contrairement à ce que l'on croit généralement, ces études intéressent directement le présent, car c'est à ces époques que se sont formées une grande partie des bases neurales et des organisations génétiques qui déterminent encore la grande majorité de nos organisations corporelles et sociales, ainsi que les comportements y afférents. L'épigénétique montre à cet égard comment n'ont pas cessé d'évoluer, sur le mode dit de la coévolution ou des déterminismes croisés, les humains et les milieux dans lesquels ils vivent

En matière de géographie humaine, il faut impérativement étudier la répercussion de ces évolutions sur les populations appelées à les subir: famines, nouvelles maladies, migrations, développement probable de conflits entre ceux qui en souffrent directement et ceux qui peuvent encore y échapper. On examinera aussi la façon dont ces phénomènes de base s'expriment en termes idéologiques, religieux et politiques. Un domaine de plus en plus important de la géographie humaine porte dorénavant sur la multiplication des mégapoles ou très grandes villes, se généralisant sur un mode tentaculaire irrésistible et susceptibles de rassembler dans quelques décennies les trois/quart sinon plus des effectifs humains. Ces mégapoles, même dans les pays riches ou émergeant comme la Chine, comportent, à coté d'immeubles ou tours relativement vivables, des espaces continus de quartiers dits défavorisés, de favelas ou de bidonvilles lesquels n'étant pas durablement vivables, favorisent des explosions sociales et interethniques.

Ces trois sciences, nous l'avons vu, sont à la base même des études géopolitiques. Sans faire appel à elles on ne comprendrait pas grand chose à la complexité du monde que s'efforce d'analyser la géopolitique. Inutile d'y revenir ici. Ce sur quoi il serait bon d'insister concerne les développements récents et les extensions de ces sciences, généralement peu connus du grand public.

C'est ainsi que les considérations relatives à la géographie, géographie physique ou géographie humaine, doivent dorénavant intégrer l'ensemble des sciences de la Terre et du climat: comment ont évolué et comment évoluent encore les territoires et les modes de vie imposés aux espèces vivantes y compris aux humains, par les phénomènes relevant de la géophysique (tremblements de terre, volcanisme, désertification...), l'océanologie et l'hydrophysique (changements de configuration des mers, des littoraux et des fleuves), la climatologie (précipitations, températures, modifications plus ou moins rapides des terres habitables et cultivables résultant du réchauffement des températures...).

Les sciences humaines et sociales, auxquelles s'apparente, nous l'avons vu, la géopolitique, respectent certes le processus ainsi décrit, puisqu'il s'agit de sciences expérimentales. Elles ne seraient pas crédibles si, par exemple, elles affirmaient avoir découvert telle ou telle loi qui ne soit pas vérifiable expérimentalement par l'ensemble des scientifiques concernés par elle. Mais leurs prémisses, notamment les concepts qu'elles utilisent, la façon dont elles mémorisent en les modélisant leurs observations et leurs conclusions, les outils dont elles se servent, les interprétations du monde qu'elles proposent, sont infiniment moins précis (pour ne pas dire rigoureux) que ceux des sciences dites exactes: physique, chimie ou astronomie. La mathématisation des résultats auxquelles elles se livrent de plus en plus est souvent un cache-misère dissimulant l'incertitude et la subjectivité de leurs bases. Ceci n'enlève rien à l'intérêt de ces sciences pour l'accroissement des connaissances, mais impose beaucoup de prudence dans la façon dont elles peuvent prétendre comprendre le monde. Elles doivent donc être très humbles.

Troisième Partie. Relations entre la géopolitique et les autres sciences

Qu'est-ce qu'une science ? Il ne s'agit pas d'un ensemble de descriptions du monde, organisées en lois, qui s'imposerait aux esprits sous la forme d'un code devant être utilisé de façon impérative et sans discussions. Dans la définition toujours actuelle de la science, celle-ci se limite à rassembler sous une forme aussi logique que possible, des connaissances imparfaites et toujours perfectibles. Mais ces connaissances ne tombent pas du ciel, imposées par un quelconque livre d'inspiration prétendument divine. Elles ont fait l'objet de vérifications expérimentales collectivement approuvées et auxquelles il est préférable de se référer pour comprendre le monde plutôt que tout réinventer à partir de ses préjugés ou de son imagination. Ces connaissances, pour demeurer valides, doivent sans cesse être utilisées pour suggérer des hypothèses nouvelles que l'on soumettra à leur tour à la sanction des processus expérimentaux collectifs. Ainsi le corpus de connaissances servant de base à la démarche de la science particulière à laquelle on s'intéresse sera constamment tenu à jour pour prendre en compte des faits nouveaux observés et non encore expliqués, liés notamment au perfectionnement continu des instruments d'observations.

Certains observateurs prétendent que les Etats-Unis, aujourd'hui en voie d'appauvrissement par différents facteurs, dont des guerres impossibles à gagner, entretiennent un potentiel militaire hors de proportion avec leurs exigences réelles: armes atomiques de toutes catégories, puissance aérienne et navale unique au monde, armes spatiales et d'observation-communication leur assurant une « full spatial dominance » sans faille. Ont-ils besoin de tout ceci, sinon pour faire la fortune des différentes corporatocraties composant le lobby politico-industriel de l'armement? La réponse nous paraît claire. Cet arsenal leur permet encore d'instrumentaliser suffisamment le reste du monde (faire peur aux adversaires potentiels, rassurer les amis en leur garantissant une apparence de protection) pour que les autres nations industrielles acceptent de travailler à crédit afin de satisfaire leurs besoins vitaux. Sans le Pentagone et les industries et laboratoires qu'il entretient, sans les forces armées qu'il mobilise, l'Empire américain s'effondrerait rapidement.

Une question se pose cependant aujourd'hui: dans le cadre de la guerre de 4e génération, dite aussi du faible au fort: de petites puissances ne vont-elles pas commencer à maîtriser suffisamment les technologies émergentes pour en faire des armes de type terroriste susceptibles de porter la guerre sur le territoire américain ou sur ses dépendances? Le risque existe, comme en toutes choses. Mais beaucoup d'observateurs voient là un nouveau fantasme destiné, comme les attentats du 11 septembre 2001, à maintenir mobilisée la société américaine au service de sa nébuleuse politico-militaro-industrielle.

Il ne faut pas chercher loin d'exemples montrant comment les grands empires géopolitiques ont utilisé les technologies de puissance modernes pour s'imposer. L'exemple le plus accompli d'une telle démarche est fourni par les Etats-Unis depuis la crise de 1929 et plus explicitement encore après la 2e guerre mondiale et ce encore jusqu'à nos jours. La Russie soviétique s'y était efforcé, mais elle a échoué faute de disposer de suffisamment de ressources. La Chine s'y essaye actuellement mais il n'est pas certain que, malgré les apparences, elle vise un idéal de puissance à l'américaine, supposant un partage du monde entre elle et l'Amérique, sinon le remplacement pur et simple de cette dernière.

C'est en privilégiant les investissements militaires que les Etats-Unis ont pris la tête dans la course aux technologies de puissance. Il n'a jamais été question pour eux de se limiter à mettre au point des armes. Ils les ont utilisées sur de nombreux théâtres, en les perfectionnant à cette occasion. On a pu dire qu'à cet égard, ils n'ont cessé de s'inventer des ennemis, en grossissant à l'excès des adversaires déclarés ou potentiels. La stratégie du choc, bien dépeinte par Naomi Klein, leur permet encore aujourd'hui de consacrer aux budgets militaires et aux recherches scientifiques financées pas ces derniers des sommes largement supérieures aux possibilités contributives spontanées des citoyens.

Ce secteur est proliférant, pour diverses raisons. La première raison est que, lorsque l'on emploie le terme de cognosphère, on fait obligatoirement allusion aux cerveaux humains et aujourd'hui, à la façon dont ils s'expriment dans l'intelligence artificielle. Les cerveaux de la plupart des 6 à 7 milliards d'humains vivant aujourd'hui sont dramatiquement laissés en friche par des pouvoirs craignant par dessus tout d'être obligés de coopérer avec eux. Cependant, toute source de développement, notamment dans les domaines technologiques et scientifiques, repose sur la valorisation du capital intellectuel des citoyens.

Les grands acteurs de la géopolitique, que nous avons évoqués dans la section précédente (cf. 2.2.) ont bien compris qu'attirer dans leur orbite et mieux encore former directement la matière grise compétente du monde constitue une source de puissance incontournable. Les compétitions pour ce faire sont incessantes: entre pays et zones géographique, entre secteur public (universités...) et entreprises privées, entre militaires et civils. On ne comprend pas grand chose à la géopolitique si l'on ne voit pas qu'elle repose en grande partie sur un effort général de captation des intelligences (brain drain). Ceci pourrait donner aux individus « bénéficiant » de tels efforts de formation et d'appropriation un pouvoir politique et social plus grand que n'est le leur aujourd'hui. Mais, sans doute faute de la culture géopolitique suffisante, ils ne savent pas l'exercer et se contentent de servir les intérêts directs de leurs employeurs.