Les écrans, poursuit Kevin Kelly, provoquent l’action, et non la persuasion. La propagande est moins efficace dans un monde d’écrans, car si la désinformation se propage vite, les rectifications aussi. Sur écran, il est la plupart du temps aussi facile de corriger une erreur que d’en commettre une ; Wikipédia marche aussi bien parce qu’on peut y rectifier quoique ce soit en un seul clic. Dans les livres, ce que nous trouvons, c’est la vérité révélée. Sur l’écran, nous assemblons des pièces pour créer notre propre vérité. Le statut d’une nouvelle création n’est pas donné par le niveau des critiques qu’elle a suscitées, mais par le degré auquel elle est liée au reste du monde. Une personne, un artéfact, un fait, n’existent pas ! s’ils ne sont pas liés.
Un écran peut révéler la nature profonde des choses, continue Kevin Kelly. Passer l’œil de l’appareil photo d’un téléphone portable devant le code-barre d’un produit manufacturé révèle son prix, son origine, et les commentaires d’utilisateurs. Tour se passe comme si l’écran affichait l’essence intangible de l’objet.
A mesure que les écrans deviendront plus puissants, plus légers et plus grands, on pourra les utiliser pour voir le monde plus en profondeur. Tenir une tablette en l’air pendant qu’on marche dans la rue nous donnera accès à une superposition annotée de la rue dans laquelle nous sommes – où il y a des toilettes propres, où se trouvent les magasins qui vendent ce que j’aime, où traînent mes amis. Les puces informatiques deviennent si minuscules, et les écrans si fins et si bon marché, que, dans les 40 prochaines années, des lunettes semi-transparentes apposeront une couche informationnelle sur la réalité, on aura accès en regardant un objet à travers elles aux informations essentielles concernant cet objet. De cette manière, explique Kelly, les écrans nous permettront de tout lire, pa! s seulement des textes.
Mais, plus importants encore pour Kevin Kelly, les écrans pourront aussi nous regarder. Ils seront nos miroirs, les puits dans lesquels nous regarderons pour apprendre quelque chose sur nous-mêmes. Pas pour voir notre visage, mais pour voir notre statut. Des millions de gens utilisent déjà des écrans de poche pour y enregistrer où ils sont, ce qu’ils mangent, combien ils pèsent, quel est leur état d’esprit, comment ils dorment et ce qu’ils voient. Quelques pionniers ont déjà commencé le “life logging”, l’enregistrement de leur vie, ils en enregistrent le moindre détail, la moindre conversation, la moindre image, la moindre activité. Le résultat de cet autotraçage continuel est une mémoire impeccable de leur vie, une vision d’eux-mêmes étonnamment objective et quanti! fiable, qu’aucun livre ne peut fournir. L’écran fait partie de notre identité.
Nous vivons, conclut Kevin Kelly, sur des écrans de toutes les tailles, des IMAX aux Iphones. À l’avenir, nous ne serons jamais très loin d’un écran. Les écrans seront le premier lieu où nous chercherons des réponses, des amis, des informations, du sens pour savoir ce que nous sommes et ce que nous pourrions être.