Les services rendus par le cerveau
Quels sont les services rendus par le cerveau, ou si l'on préfère, quelles fonctions assure-t-il au bénéfice des organismes qui en dont dotés. On évoquera d'abord la coordination sensori-motrice générale. Le moustique, souvent cité par Douglas Hofstadter, dont le cerveau est très rudimentaire, en est parfaitement capable, tout au moins dans certaines limites. Cela lui a permis de survivre à travers les âges et lui promet aujourd'hui, avec la hausse des températures globales, un bel avenir.
La deuxième grande fonction permise par le cerveau consiste à mémoriser tous les événements vécus par l'animal, de façon à ce qu'il puisse retrouver face à des situations actuelles celles des recettes ayant réussi dans des situations précédentes. On discute parfois les capacités de mémorisation, sous forme d'associations neuronales stables(2) du cerveau humain, doté de 100 milliards de neurones. Certains neuroscientifiques pensent que tout ce qu'a vécu l'individu, depuis le stade embryonnaire, est effectivement inscrit quelque part dans le système nerveux et pourrait être retrouvé. Le cerveau met donc à la disposition des animaux qui en sont dotés des banques d'histoires considérables, qui leur permettent de se rétrojecter plus ou moins automatiquement dans leur passé, c'est-à-dire de s'inscrire dans un temps historique (avec possibilité d'extrapolation vers un futur supposé). Il en est de même évidemment au niveau des groupes, dont les individus bénéficient, soit par la transmission génétique, soit par la transmission sociale, des acquis individuels conservés par l'évolution du fait des succès de survie qu'ils ont assurés.
La troisième grande fonction du cerveau consiste à globaliser et catégoriser ces millions ou milliards de «mémoires partielles», en les classant par catégories et en les désignant d'un terme spécifique. Il s'agit de proposer ce que l'on pourrait appeler des macro-instructions permettant l'accès à des classes de mémoires ou instructions élémentaires. Ce sont ces classes que Douglas Hofstadter désigne globalement du terme de « symbol », qu'elles soient ou non nommées par un terme spécifique dans le langage verbal. Pourquoi ce travail de regroupement, classification et symbolisation ?
Une quatrième fonction du cerveau n'est accessible qu'aux organismes dotés d'une complexité suffisante (certains animaux dits supérieurs et bien évidemment l'homme). Elle se traduit par l'apparition de la conscience de soi ou conscience dite supérieure. Elle repose sur la capacité qu'à le cerveau d'observer une partie de son fonctionnement et du fonctionnement des organes relevant de la commande volontaire. Douglas Hofstadter consacre de longs développements aux boucles physiques de récursion fréquentes dans les machines modernes (par exemple la caméra qui filme l'écran sur lequel apparaît ce qu'elle filme). Les boucles biologiques de récursion sont innombrables et bien plus complexes. (sécrétion d'une hormone suscitant l'appétit en cas de baisse du niveau de sucre détecté dans le sang, par exemple).
La cinquième fonction du cerveau, qui semble comme la précédente réservée aux humains, est simplement évoquée par Douglas Hofstadter (alors qu'à notre avis elle est excessivement importante). Il s'agit de la capacité d'halluciner le contenu du Moi. Pour notre auteur, comme pour d'ailleurs de nombreux cogniticiens, le Moi, au moins dans ses principales dimensions, est le produit d'une hallucination. Mais qu'est-ce qu'une hallucination ? On associe ce terme à la propriété qu'ont certains cerveaux ayant perdu le sens du réel de générer des images ou des personnages que le sujet halluciné considère comme existant véritablement. A ce niveau, c'est un dysfonctionnement pouvant entraîner la mort. D'une façon beaucoup plus générale et inoffensive, voire utile, le cerveau peut, quant il organise les informations sensorielles afin de construire des images du « réel » qui l'entoure, projeter dans ce réel reconstruit des propriétés qui n'existent que pour lui et qui n'intéresseraient pas nécessairement d'autres sujets – à l'exception de ceux qui partageraient la même hallucination. Ainsi je peux « halluciner » autour de représentations du chef de l'Etat, de l'être aimé, de ma voiture, de la pollution, de la crise mondiale, de Dieu ou de tous autres objets ou catégories que je suis conduit à découper de facto dans le monde, au cours de mon existence quotidienne.