15.5.13

La véritable connaissance suppose un aller-retour permanent entre synthèse et analyse, savoirs spécialisés et approche globale, tant il est vrai, comme l’affirmait Pascal, qu’il est « impossible de connaître le tout si je ne connais pas singulièrement les parties, mais je tiens pour impossible de connaître les parties si je ne connais pas le tout de ces parties ».

Un autre thème abordé dans l’ouvrage est celui de la double nature « demens-sapiens » de l’humain. Le développement du cerveau et des aptitudes cognitives ont fait de l’homme un être doué d’intelligence, de raison, et de capacités d’apprentissage et d’imagination inédites dans le monde vivant. Mais ce sont ces mêmes aptitudes à penser, à imaginer qui le conduisent aussi à une certaine folie. Car Homo sapiens est aussi Homo demens, producteur de rêves, d’illusions, de fantasmes, d’utopies. C’est le même dispositif mental qui lui fait produire des connaissances scientifiques et des délires conceptuels. Morin refuse de dissocier l’homme rationnel du fou et du rêveur.

La vie et la mort : une dialogique

Cette unité qui réunit en un tout les diverses composantes de l’être humain (biologique, anthropologie, psychologique et historique) apparaît dès son premier livre. L’Homme et la Mort est publié en 1951 par un jeune homme de 30 ans qui a été profondément traumatisé par la mort de sa mère lorsqu’il avait 10 ans. On y trouve déjà une idée germinale qui va alimenter l’ensemble de son œuvre, celle de la coexistence contradictoire des contraires : la vie et la mort, la création et la destruction, l’ordre et le désordre, le réel et l’imaginaire, unis et s’opposant en un processus unique qu’il nomme « dialogique » (1).

L’Homme et la Mort part d’un paradoxe : l’homme partage avec tous les êtres vivants le fait d’être mortel. Et la vie et la mort sont indissolublement liées : les animaux ne peuvent vivre qu’en volant la vie des plantes ou des animaux dont ils se nourrissent. La mort s’attaque à la vie, mais « la vie se nourrit de mort ».

Parmi les êtres vivants, les humains prennent conscience de leur mort. Mais aussitôt, cette conscience de la mort est refoulée : la volonté biologique de survie se traduit sur le plan imaginaire par un désir d’immortalité. Depuis l’aube de l’humanité, les hommes ont déployé tout un arsenal de mythes et de croyances destinés à nier leur propre mort. Ces croyances ont pris historiquement plusieurs formes : celle de la réincarnation, celle de la survie du mort dans l’au-delà (dans les religions archaïques), celle de la Résurrection (dans le christianisme), celle du Nirvana (dans l’hindouisme) qui est une forme de fusion cosmique « au-delà de la vie et de la mort ». De tout temps et partout, l’être humain refuse sa condition de mortel. Son esprit s’oppose à sa nature biologique. « Il fait l’ange, mais son corps fait la bête, qui pourrit et se désagrège comme celui d’une bête », écrit Morin dans L’Homme et la Mort.