2.2.07

[@RT Flash] Lettre n° 416 du 2 au 8 février 2007 - @ Trégouët

[@RT Flash] Lettre n° 416 du 2 au 8 février 2007 - @ Trégouët: "Face à la menace sans précédent pour l’humanité du réchauffement climatique, essentiellement lié à l’utilisation intensive des sources d’énergie fossiles, nous devons changer d’échelle temporelle et préparer et mettre en oeuvre dès à présent des programmes et des politiques économiques, fiscales, industrielles et technologiques beaucoup plus ambitieuses et volontaires afin que l’ensemble des sources et vecteurs d’énergies renouvelables -dont évidemment l’hydrogène comme clef de voûte- se soient pour l’essentiel substitués au pétrole et au gaz avant le milieu de ce siècle. Il faut en effet savoir qu’au rythme où l’humanité consomme le pétrole -aujourd’hui 4 milliards de tonnes par an mais 6 milliards de tonnes par an en 2025- nous aurons totalement épuisé l’ensemble de nos réserves pétrolières en 2080 !

Certes, l’effort économique, technologique et financier pour arriver à cet objectif est gigantesque et sera de toute façon difficile à atteindre mais nous devons dire à nos concitoyens qu’il coûtera toujours infiniment moins cher -comme l’a montré magistralement le récent rapport Stern et comme le confirme la derniè"

[@RT Flash] Lettre n° 416 du 2 au 8 février 2007 - @ Trégouët

[@RT Flash] Lettre n° 416 du 2 au 8 février 2007 - @ Trégouët: "« D’ici à deux générations, l’une des principales solutions aux problèmes énergétiques sera l’hydrogène, affirme Klaus Yvon, professeur au Laboratoire de cristallographie de l’Université de Genève mais cette révolution énergétique prendra une cinquantaine d’années. » Ce scientifique suisse travaille sur de nouveaux alliages métalliques capables d’absorber et de stocker de grandes quantités d’hydrogène dans des conditions de température et de pression ambiantes.

Mais l’hydrogène ne doit pas seulement pouvoir être stocké facilement, il doit également être produit de manière propre. Les chercheurs suisses ont donc imaginé une maison solaire énergétiquement autarcique à Carouge, sur le site du Centre universitaire d’étude des problèmes de l’énergie (Cuepe). Des panneaux solaires installés sur le toit du bâtiment généreront de l’électricité à partir de laquelle sera produit de l’hydrogène qui sera stocké dans les alliages de Klaus Yvon. Ceux-ci fonctionnent comme des « éponges » et permettront de fournir de l’énergie sous forme d’électricité et de chaleur au bâtiment durant toute l’année."

1.2.07

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Afin de dégager ces grandes tendances, ce livre prendra comme point de comparaison le monde tel qu’il était au milieu du XVIIIe siècle. Le but n’est pas de suggérer que ce monde était statique et n’avait pas de perspectives autres que limitées. Bien au contraire, des forces puissantes poussant les sociétés humaines vers le changement et la mondialisation étaient déjà à l’œuvre depuis plusieurs siècles. Ce monde était seulement un monde d’Ancien régime, reposant sur des formes d’organisation sociale ultérieurement considérées comme archaïques par tous ceux qui percevaient une grande différence entre leur époque et celle qui l’avait précédée. Ce fut à partir de ce moment que les forces du changement décrites plus haut commencèrent à s’accélérer de manière spectaculaire, et les contemporains en étaient aussi clairement conscients que les historiens après eux."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Dans le champ de la vie économique, des corps spécialisés de directeurs, de comptables et d’assureurs étaient apparus dans tous les grands centres urbains. La gestion était désormais distincte de la propriété ou de la commercialisation. Une classe spécifique de spéculateurs financiers, qui, en 1780, n’existaient encore qu’à Paris, Londres, ou Amsterdam, était également apparue à Shangai, Téhéran ou Nagasaki. Le travail des gens ordinaires était de même devenu plus spécialisé. En particulier, le lien pluriséculaire entre le travail agricole saisonnier et le travail urbain avait été rompu quasiment partout pour ceux qui vivaient dans les grandes villes du monde industrialisé. En fait, quelque chose comme une structure de classe internationale était en train d’émerger. Cette spécialisation accrue suscita paradoxalement une impression d’uniformisation. Les groupes dirigeants, les professionnels, et même les classes ouvrières des différentes sociétés devinrent de plus en plus semblables, furent soumis au même type de pressions, et commencèrent à nourrir des espérances analogues. Convergences, uniformisation et ressemblances ne signifient pas, là encore, que tous ces gens étaient susceptibles de penser et d�"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Le second thème faisant office de fil conducteur tout au long ce livre est celui de la complexité interne grandissante des sociétés du monde qui se développa à l’intérieur même de cette tendance à l’uniformisation des apparences. Cette complexité des fonctions fut quelque chose de bien distinct de ces différences culturelles locales qui étaient la marque de l’ordre ancien. À la fin du XIXe siècle, la plupart des sociétés ayant une taille suffisante possédaient un large éventail de professions et d’emplois spécialisés, ayant leurs modes d’apprentissage et leurs rituels de solidarité spécifiques. Ce genre d’associations jouait désormais un rôle social plus important que les solidarités découlant du mariage ou de la parenté. La fonction de gestionnaire était clairement séparée de celle d’homme de guerre, alors que dans les sociétés traditionnelles, cela n’avait nulle part été le cas, sauf en Chine et, jusqu’à un certain point, en Europe."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Le télégraphe électrique devint un système de communication international suite à la pose du câble reliant l’Europe et l’Asie en 1863, et à celle de deux câbles transatlantiques en 1866. Le chemin de fer, le navire à vapeur, et plus tard le téléphone révolutionnèrent les communications et la vitesse de transmission de l’information. Ce serait une erreur de penser que les moyens de communication antérieurs au télégraphe et à l’imprimerie en Asie et en Afrique étaient dénués de toute sophistication. Mais la densité des messages désormais échangés rendit possible la diffusion sans précédent d’idées communes à tous. Le nationalisme moderne, né de la Révolution française et des guerres qui suivirent, se trouva lui aussi « mondialisé » durant la génération qui suivit 1850. Les nationalistes chinois, irlandais, indiens et égyptiens entrèrent en contact par le biais des lignes télégraphiques et se rencontrèrent à Paris, Tokyo, Londres, San Francisco ou Shangai. Les connaissances médicales et scientifiques se diffusèrent partout dans le monde à la même vitesse."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "L’uniformisation croissante des usages relatifs au corps et des marqueurs extérieurs de l’identité personnelle se refléta aussi au niveau des idées. Les systèmes idéologiques et discursifs générés par la puissance économique et politique commencèrent à converger à travers le monde. Le XIXe siècle, qualifié de diverses manières d’« ère de l’industrie et des empires », fut aussi le siècle de la communication planétaire. Le monde entier connut un essor massif du livre imprimé. Les sociétés peu alphabétisées au regard des normes habituelles devinrent sensibles aux modes de communication reposant sur l’écrit. L’Europe ne fut pas toujours à l’avant-garde. En 1800, il s’imprimait davantage de titres à Calcutta qu’à Saint-Pétersbourg ou à Vienne. On estime qu’en 1828, il paraissait dans le monde 3168 journaux différents, dont la moitié dans les pays de langue anglaise. Mais en 1831 déjà, le Moniteur ottoman rivalisait avec le Times de Londres. En 1900, le nombre total de journaux atteignait 31 026, parmi lesquels beaucoup étaient tirés à des centaines de milliers d’exemplaires. Cette même année, leur nombre atteignait 600 en Inde, 195 en Afrique et 150 a"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "À la fin du XIXe siècle, l’uniformisation s’exprima aussi dans le domaine nouveau des sports et des loisirs. Le caractère brouillon et parfaitement adapté de nombre de jeux d’origine ancienne avait laissé la place à un jeu ordonné, doté de règles, le plus souvent édictées par des organismes internationaux. Même la forme prise par des sports tels que le rugby, le football et le cricket, qui représentaient la quintessence des exportations britanniques dans le reste du monde, semble porter la marque de cette puissante volonté de discipliner les corps, une volonté tout aussi évidente sur les champs de bataille que dans les usines. Certains sports qui migrèrent d’Asie vers l’Occident, comme le hockey ou le polo, perdirent eux aussi leur aspect de mêlée sympathique pour devenir autant de compétitions soumises à des règles. À la même époque, le modèle français de la grande cuisine maîtrisée et ordonnée, le modèle français de diplomatie policée et le concept allemand de classification des connaissances scientifiques ou humaines se diffusèrent à travers le monde en empruntant des canaux similaires."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "La nourriture des gens dans les différentes parties du monde se standardisa. Un régime alimentaire à base de pain de seigle et de bœuf constituait déjà la norme pour les Anglais et les Allemands du Nord durant les premiers temps de l’ère moderne. Ce régime fut exporté vers les colonies britanniques d’Amérique, de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Sud. Les peuples indigènes entrés en contact avec les missionnaires, ou qui commençaient à s’installer dans les villes d’Europe, adoptèrent ce même régime propre à l’Europe du Nord-Ouest, en partie parce qu’il correspondait à ce que l’on pouvait effectivement se procurer sur le marché, et en partie parce qu’ils furent contraints par leurs nouveaux maîtres de se conformer aux normes édictées par eux."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Au cours du XIXe siècle, les deux phénomènes générateurs de nivellement, l’esclavage et l’évangélisation chrétienne, attribuèrent à des millions d’Africains, d’Indiens d’Amérique ou d’habitants de la région Pacifique, un ensemble de prénoms désormais désignés en anglais sous le vocable de noms « chrétiens » (christian names), dont beaucoup étaient d’ailleurs d’origine juive. Dans le même temps, le bon fonctionnement du gouvernement et des tribunaux requérait que chacun ait un nom de famille standard qui lui soit propre à des fins officielles. Il en découla quelques anomalies. Cela entraîna par exemple que, dans les pays scandinaves, des centaines de milliers de gens reçurent le nom de Johannsen ou Christiansen, tandis que, en Birmanie, la pratique consistant à nommer les gens en fonction de leur jour de naissance fit qu’une proportion importante de la population reçut un nom correspondant à l’un des sept jours de la semaine dans le calendrier birman, ou à un nombre restreints de signes astrologiques."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "On peut voir dans le choix des noms et prénoms des gens une autre conséquence de cette uniformisation planétaire. Les noms propres se standardisèrent à mesure que le matériel d’imprimerie et les changements culturels et religieux se répandaient au sein des sociétés, éliminant les différences entre des pratiques locales diversifiées en matière de noms. Le poids de l’État fut important, car ses administrateurs souhaitaient toujours plus pouvoir étiqueter et ficher les gens à des fins fiscales ou militaires. Mais ce n’était pas simplement une question de coercition ; les hommes et les femmes avaient besoin de pouvoir s’adresser à l’État sous ses différentes formes, pour accéder aux secours dispensés par la paroisse, à l’éducation, voire aux moyens de transport pour les émigrants."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "En 1750, les petits fermiers et les artisans qualifiés des treize colonies d’Amérique du Nord et des régions les plus riches de l’Europe, comme l’Angleterre, l’Allemagne septentrionale ou la Hollande, pouvaient déjà s’offrir une montre. De plus, l’heure indiquée un peu partout dans le monde par ces horloges et ces montres était en voie d’harmonisation. L’expansion de la Russie impériale en direction de la Sibérie, puis plus tard de la Chine septentrionale, nécessita une coordination des découpages précisant l’heure locale. À mesure qu’on avançait dans le XIXe siècle, l’astreinte à des horaires synchronisés dans les sociétés dépendantes extérieures à l’Europe devint toujours plus stricte.

Le développement du télégraphe électrique rendit possible l’adoption partout dans le monde d’une heure universelle, y compris dans des sociétés comme la Chine ou l’Inde, où existaient encore à la fin du XVIIIe siècle des systèmes locaux de mesure du temps. En Inde ou dans les grandes villes de la côte chinoise, les notabilités locales, qui en d’autre temps auraient investi leur argent dans la construction de temples et de mosquées, se mirent �"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Le corps est un endroit où les anthropologues et les historiens sociaux peuvent repérer la trace de l’influence exercée par les États et des formes prises par la discipline sociale qui se transformèrent en normes planétaires au cours du XIXe siècle. Avec l’uniformisation des tenues, une autre forme de discipline imposée au corps fut l’obligation de se conformer aux horaires. Dès la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe, la montre portable, dite de gousset, s’était répandue en Europe ainsi que dans les colonies européennes de peuplement. Les plantations à esclaves, où un si grand nombre de méthodes permettant de contrôler le travail furent brutalement inventées, étaient régies par une cloche qui sonnait en fonction de l’heure affichée par la montre du maître."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Cette uniformisation croissante ne suscita pourtant pas une approbation unanime. Être controversé et critiqué était inhérent à l’essence même de ce processus. Les Occidentaux se gaussèrent des « indigènes » qui les imitaient, tandis que les tenants de tous les différents nationalismes culturels critiquaient cette imitation servile des étrangers. Dans les années 1880, un musulman ottoman conservateur formulait ainsi ses objections :

« L’idée fallacieuse voulant que tout ce qu’on a vu en Europe doive être imité ici est devenue une tradition politique. Par exemple, par l’adoption simultanée d’uniformes russes, de fusils belges, de couvre-chefs turcs, de selles hongroises, d’épées anglaises et d’exercices militaires français, nous avons créé une armée qui n’est qu’une parodie grotesque de ce qui se fait en Europe. »"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "En 1780, la modestie exigeait de nombreuses femmes à travers le monde, du Bengale aux Îles Fidji, qu’elles gardent les seins nus. En 1914, les missionnaires chrétiens et les réformateurs des mœurs indigènes avaient fait en sorte qu’une poitrine nue soit considérée comme indécente. Cela constitua en soi une formidable inversion dans le processus déterminant les usages relatifs au corps. Dans le monde musulman, la burqa islamique, recouvrant totalement le corps des femmes, connut une popularité croissante. Souvent considérée, à tort, par les Occidentaux d’aujourd’hui comme une forme d’obscurantisme médiéval, la burqa fut en réalité la forme moderne que dut prendre leur vêtement pour permettre aux femmes de sortir de leur réclusion domestique forcée et de jouer un rôle, même limité, dans les affaires publiques ou commerciales. "

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Les vêtements des femmes appartenant aux élites n’avaient pas encore connu un degré de convergence aussi marqué. Nombre de réformateurs se firent les avocats du port par leurs épouses de modèles inspirés des robes traditionnelles, plutôt que du style occidental. Résultant à la fois d’un processus positif et d’aspirations néfastes, la modernisation était considérée comme étant davantage de circonstance pour les hommes que pour les femmes. Dans beaucoup de sociétés, les femmes étaient censées se cantonner dans une sphère domestique probablement bien plus rigoureusement séparée du monde et des affaires des hommes qu’elle ne l’avait été en 1780. La notion de sphère domestique était en soi le produit d’une formidable uniformisation. Les vêtements des femmes demeuraient une sorte d’ornement peu fonctionnel. De ce point de vue, cette pratique qui consistait à bander les pieds des Chinoises n’était pas sans rappeler l’utilisation des guêpières et des corsets en Europe. Pourtant, pour les femmes aussi la tendance était à l’uniformisation."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "La tendance poussant à l’uniformisation des tenues vestimentaires fut moins visible chez les ouvriers, chez les paysans et chez tous ceux qui appartenaient aux classes subalternes. L’étude menée par l’historien Richard Cobb sur les indigents décédés à Paris au temps de la Révolution a montré qu’ils se vêtaient de chiffons et de haillons renvoyant à différents styles et à différentes époques, de vêtements donnés et savamment rapiécés. En 1900, la grande majorité des pauvres ne pouvaient toujours pas se permettre mieux. Et pourtant les conditions de fabrication et l’influence des mouvements de réforme sociaux et religieux avaient eu pour résultat que les hommes avaient commencé à s’habiller de manière de plus en plus semblable dans les lieux publics, sans distinction de région ou de culture. Chaussures de cuir, casquette de toile, chemises et pantalons avaient commencé à se substituer à tout l’assortiment de robes, de dhotis *, de pyjamas, de kimonos et de blouses qui avaient prévalu jusqu’en 1780."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Durant les cent quarante années couvertes par ce livre, les sociétés devinrent plus uniformes partout dans le monde. Des processus comparables de changement s’étaient certes développés depuis des millénaires. La propagation des religions universelles avait eu des conséquences significatives en termes d’uniformisation, particulièrement en ce qui concerne certains usages relatifs au corps. Après 1750 environ, l’échelle des aspirations et de formes d’organisation sociale s’élargit considérablement en l’espace de peut-être deux générations. Des communications plus rapides, des systèmes politiques plus étendus, des idéologies civilisatrices plus ambitieuses, constituèrent autant de moteurs poussant au changement, en Occident et en dehors de l’Occident."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Si tel est le cas, où cette modernité a-t-elle pris naissance ? Les penseurs du XIXe siècle ont souvent émis l’idée que les sociétés évoluent pour se transformer en organismes plus complexes un peu à l’image des créatures vivantes. Les sociétés les plus complexes, en l’occurrence les sociétés occidentales, ont, dans ces conditions, survécu parce qu’elles étaient les plus « aptes »."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "En 1900, nombreux étaient ceux qui, parmi les élites africaines ou asiatiques, en étaient arrivés à la conclusion que l’époque était à l’érosion des coutumes, des traditions, du patriarcat, des religions à l’ancienne et des communautés, et qu’il était nécessaire que ce mouvement soit poussé encore plus loin. À l’inverse, il se trouvait une minorité de penseurs qui commençaient à déplorer ces évolutions, tout en étant également persuadés du caractère inéluctable de la modernisation."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Ce faisant, ils rejoignaient le raisonnement de ces responsables politiques et de ces intellectuels qui, en Allemagne, en Russie ou en Chine, avaient dès le XIXe siècle prôné « la modernité à notre façon ». En cette première décennie du XXIe siècle, la question n’est toujours pas éclaircie. Le philosophe postmoderniste Bruno Latour a pu prétendre que « nous n’avons jamais été modernes », en soulignant les résiliences de sensibilité, d’émotion, d’appréhension de la magie, qui contredisent l’idée que le sujet individuel bourgeois demeure dominant. Dans le même temps, d’autres théoriciens sociaux, en particulier Ernest Gellner, Alan McFarlane et David Landes, ont résolument insisté sur le caractère bien réel de cette « énigme de la modernité » conçue comme un pas en avant accompli une fois pour toutes par l’humanité."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Dès 1980, les « théoriciens de la modernisation » de l’après-guerre se retrouvèrent exposés aux critiques de groupes qui étaient en désaccord entre eux. Les démographes regardaient d’un œil circonspect cette idée d’un passage d’une famille étendue à une famille mononucléaire. Les spécialistes d’histoire économique commençaient à douter que l’histoire des sociétés humaines doive « nécessairement » inclure une phase d’industrialisation. Les sociologues prenaient argument de la révolution islamique iranienne de 1979 ou des progrès continus enregistrés par les évangélistes chrétiens aux États-Unis pour remettre en cause l’idée d’un triomphe de la sécularisation. Après l980, les chercheurs se mirent à parler de « modernités multiples », impliquant par là même que la modernité avait pu être quelque chose de très différent en Occident et, par exemple, au Sénégal ou en Indonésie."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Bien qu’insistant sur le rôle autonome des évolutions idéologiques dans sa théorie, Max Weber avait lui-même toujours en tête les idées de Karl Marx. Il en résulte que la chronologie de la période définie par Eisenstadt et quelques autres historiens libéraux gardait de nombreuses convergences avec celle des auteurs marxistes. Tous inclinaient à dater du XVIe siècle les origines de la modernité, mais tous situaient sa phase cruciale au XIXe siècle. Tous penchaient pour attribuer à l’Occident le rôle privilégié de source des changements à l’échelle du monde, et pour considérer les pays non européens comme autant de bénéficiaires de ces changements qui pourraient à terme « rattraper » leur retard."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Le moment est maintenant arrivé de s’attaquer à la question de la « modernité », un mot utilisé dans le titre même de ce livre et par toutes les branches de la science humaine contemporaine. Dans les années 1950 et 1960, S. N. Eisenstadt et d’autres ont utilisé ce mot pour désigner un ensemble d’évolutions à l’échelle planétaire qui se sont combinées pour amener l’organisation des sociétés et la vie des hommes et des femmes à faire un pas en avant, et c’est ce changement qu’ils ont baptisé « modernité ». Les changements qu’ils ont repérés et décrits ont affecté différents domaines de la vie des hommes et des femmes. Cela inclut le remplacement des familles nombreuses et élargies par des familles mononucléaires de taille réduite, un changement souvent associé à l’urbanisation. Cela comprend l’industrialisation, la notion de droits politiques individuels et la laïcité, le recul supposé des mentalités religieuses. À bien des égards, leur modèle s’appuyait sur les travaux fondamentaux du sociologue allemand Max Weber, qui avaient paru une cinquantaine d’années auparavant."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Écrire l’histoire du monde peut par conséquent aider à mettre en lumière tout un ensemble de métarécits cachés. Comprendre pourquoi les choses changent a toujours constitué aux yeux des historiens une question essentielle. Pour cette raison, il reste important de prendre en considération les ressources et les stratégies, ainsi que les affrontements des groupes dominants et de leurs alliés dans une perspective historique mondiale, tout comme il est important de retrouver les jalons de l’expérience vécue par les peuples privés d’histoire."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Le tournant postmoderniste qui a affecté certains travaux historiques a de ce fait soulevé de réels problèmes. La « mondialisation » étant devenue le concept le plus en vue du moment, la demande émanant des milieux universitaires et du grand public d’une histoire qui prenne en compte le monde dans son ensemble paraît s’être énormément accrue. Il n’empêche que certaines des hypothèses sur lesquelles s’appuie toute histoire du monde ont été soumises à une critique radicale par les postmodernistes, au motif qu’elles font de l’expérience humaine quelque chose d’homogène et qu’elles « balaient » hors de l’histoire « les peuples privés de pouvoir »."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "En termes très généraux donc, les développements historiques paraissent avoir été déterminés par un parallélogramme complexe de forces incluant les changements économiques, les constructions idéologiques et les mécanismes étatiques. Les développements au sein de l’économie mondiale ne semblent pas à proprement parler avoir « précédé » ceux qui intervinrent dans les structures idéologiques et politiques. Ces champs s’interpénétraient et ils s’influencèrent mutuellement à des degrés variables et à des moments différents. Il y eut ainsi des périodes où l’État et les mythologies qui se créèrent autour de lui constituèrent autant d’agents du changement historique. "

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Ces changements économiques et sociaux furent inégaux et déstabilisants. Ils créèrent des différences entre groupes et entre sociétés différentes. Ils suscitèrent un appétit de richesse, puis l’envie et le dégoût des voisins. Ils entraînèrent des guerres par-delà les mers, des inégalités devant l’impôt, des désordres sociaux et la remise en cause des autorités établies, qu’elles soient royales ou religieuses. Le bouleversement fut planétaire. Les philosophes français et les maîtres ès religion en Arabie centrale ressentirent de la même manière l’impact de ces relations nouvelles et les turbulences auxquelles elles donnèrent naissance."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Pourtant, souligner l’importance des « révolutions industrieuses » comme le fait ce livre, ne revient pas à donner la priorité en matière de causalité historique à un autre type de moteur économique. Car les « révolutions industrieuses » ne furent pas uniquement un changement brutal dans la distribution des forces matérielles. Elles apportèrent aussi un changement au niveau du « discours », pour utiliser le vocabulaire d’aujourd’hui. Les horizons du désir changèrent pour les hommes et les femmes, car l’information concernant les idéaux et les styles de vie des groupes dirigeants circulait déjà plus rapidement."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "L’objectif central de ce livre n’est pas de s’attaquer à cette question des causalités fondamentales. Il part toutefois de l’idée selon laquelle toute histoire du monde nécessite que l’on postule l’existence d’un réseau d’interactions plus complexe entre les formes d’organisation politique, les idées politiques et l’activité économique. L’économie garde certainement un rôle essentiel dans une telle approche. Les formes d’intensification locale de l’activité économique constituèrent en effet des moteurs importants du changement avant même que l’industrialisation ne soit intervenue à grande échelle."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "En réaction à ces problèmes, il s’est trouvé vers la fin du XXe siécle, un certain nombre d’historiens pour attribuer à l’État et à la « gouvernance », en particulier à l’État de type occidental élevé au rang de catégorie-clef, le rôle de « moteur » principal dans leur dramaturgie historique. Mais cela ne contribue pas vraiment à résoudre le problème. Le devenir de l’État moderne entretient de toute évidence à un certain niveau un lien de cause à effet avec les grands changements économiques de l’époque, même s’il n’est pas déterminé par eux mécaniquement.

En outre, mettre l’accent sur le développement de l’État et de la gouvernance au sens le plus large continue de laisser sans réponse cette question sous-jacente : pourquoi, en fait, l’État moderne s’est-il développé tout court ? "

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "La plupart des historiens professionnels gardent toujours à l’esprit la question de savoir « ce qui a fait que les choses ont changé ». Les historiens et les philosophes vivant au XIXe siècle avaient tendance à penser que l’histoire était à la remorque des grands changements intellectuels et spirituels. Ils croyaient que c’était Dieu, ou bien l’Esprit de Raison, ou bien encore la volonté de Libération, qui faisaient bouger le monde. Certains avaient foi en la « mission civilisatrice » du christianisme européen. D’autres pensaient que les races et les civilisations passaient par des phases ascendantes et descendantes du fait des lois naturelles de la concurrence, de la survie et du déclin.

Au XXe siècle, les explications matérialistes du changement se sont imposées. En 1950, parmi les historiens de premier plan, beaucoup étaient influencés par les théories socialistes et considéraient que la logique du capitalisme industriel constituait la force principale pouvant expliquer les changements survenus dans la vie des hommes et des femmes après 1750. À un certain niveau, il est sans doute exact que le principal changement survenu au XIXe siècle a été le basculement des sociétés et des États les plus puissants vers l�"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Les chapitres 1, 2 et 5, ainsi que la seconde moitié de cet ouvrage développeront par conséquent une approche plus thématique. Ces différents chapitres examineront les principaux concepts sociaux utilisés par les historiens, tout comme ils l’avaient d’ailleurs déjà été par les auteurs et les publicistes au XIXe siècle, pour définir les grands changements survenus alors. Parmi ces concepts, l’essor de l’État moderne, celui de la science, de l’industrialisation, du libéralisme et de la « religion » sont ceux qui apparaissent les plus importants. Le but de ces chapitres est de rassembler des données provenant de tout un ensemble d’études régionales ou nationales pour examiner de quelle manière ces institutions ou ces idéologies se sont implantées et sont montées en puissance à des moments différents dans différents endroits. Ces chapitres s’efforcent d’établir une histoire des liens et des processus sans en rester à la théorie simpliste d’une diffusion de la modernité vers l’extérieur à partir d’un centre américain ou européen tout puissant et « rationnel ». Là encore, ce livre insiste sur l’importance de l’action des peuples non européens colonisés"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Le but poursuivi tout au long de ce livre sera donc de combiner ce type d’histoire, que l’on pourrait qualifier « d’histoire latérale » — l’histoire des liens et des rapports — avec une « histoire verticale », qui serait celle du développement des institutions et des idéologies spécifiques."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Tous ces chapitres reviennent et insistent sur l’idée que les histoires nationales ou les études régionales doivent prendre davantage en compte les changements survenus ailleurs dans le monde. Les idées et les mouvements politiques « sautent » par-dessus les océans et les frontières pour passer d’un pays à l’autre. Pour prendre un exemple, en 1865, la fin de la guerre de Sécession permit aux progressistes américains d’apporter leur soutien au gouvernement révolutionnaire mexicain de Benito Juarez, alors menacé par des conservateurs qui avaient reçu l’appui de la France. Les révolutionnaires mexicains avaient déjà reçu le soutien enthousiaste de Giuseppe Garibaldi et d’autres révolutionnaires qui avaient été en Europe les héros des soulèvements de 1848 contre l’autoritarisme. Dans ce cas précis, il apparaît que des expériences similaires avaient permis la constitution d’un front uni à travers le monde. Mais, le fait d’être confronté à un changement mondial était également susceptible d’encourager les intellectuels, les politiciens et même les gens ordinaires à mettre l’accent sur les différences plutôt que sur les ressemblances."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Entre 1780 et 1914, les Européens avaient spolié les peuples indigènes de vastes étendues de territoires, notamment en Afrique du Nord et du Sud, en Amérique du Nord, en Asie centrale, en Sibérie et en Océanie. Alors qu’en Europe occidentale et dans les régions côtières de l’Amérique le PNB par habitant était en 1800 tout au plus le double de celui de l’Afrique du Sud, et à peine supérieur à celui des régions côtières de la Chine, un siècle plus tard ce différentiel avait quintuplé pour passer de 1 à 10, voire plus. La plupart des régions du monde qui n’étaient pas sous le contrôle direct de l’Europe ou des États-Unis étaient désormais rattachées à ce que les historiens ont appelé des « empires informels », marqués par l’existence de disparités entre étrangers et autochtones au niveau de l’exercice du pouvoir, sans que cela ait encore débouché sur une annexion.

Cette domination physique s’accompagnait de différents degrés de soumission idéologique. Les manières de concevoir la société, les institutions et les façons de procéder qui s’étaient aiguisées dans les combats et les oppositions féroces entre natio"

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Ces liens, qui se développèrent rapidement entre les différentes sociétés humaines durant le XIXe siècle, entraînèrent à l’échelle planétaire la création d’entités politiques hybrides, d’idéologies métissées et de formes complexes d’activité économique. Pourtant, ces liens étaient susceptibles de renforcer dans le même temps le sentiment de différence, voire d’antagonisme, qui existait entre les peuples de ces différentes sociétés, et en particulier entre leurs élites. Japonais, Indiens, ou Américains, par exemple, trouvèrent de plus en plus dans le sentiment d’identité culturelle, religieuse, ou nationale dont ils avaient hérité, la force nécessaire pour affronter les graves défis que leur posait une économie désormais mondialisée, et plus particulièrement ceux posés par l’impérialisme européen. Le paradoxe voulant que les forces planétaires et les forces locales se soient « cannibalisées » ou nourries mutuellement, pour reprendre un terme employé par le théoricien social Arjun Appadurai, est bien connu de tous ceux qui travaillent actuellement dans le domaine des sciences sociales."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Ce livre soutient par conséquent la théorie que toute histoire locale, nationale ou régionale, relève aussi, dans une large mesure, d’une histoire mondialisée. Il n’est plus possible d’écrire une histoire qui serait « américaine » ou « européenne » au sens le plus étroit du terme, et il est encourageant de constater que nombre d’historiens se sont d’ores et déjà rangés à ce point de vue. Durant les années 1950-1960, les membres de l’école historiographique française des Annales, emmenés par Fernand Braudel, ont été les pionniers d’une approche mondialisée de l’histoire économique et sociale traitant du début de l’ère moderne."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Ces liens, qui se développèrent rapidement entre les différentes sociétés humaines durant le XIXe siècle, entraînèrent à l’échelle planétaire la création d’entités politiques hybrides, d’idéologies métissées et de formes complexes d’activité économique. Pourtant, ces liens étaient susceptibles de renforcer dans le même temps le sentiment de différence, voire d’antagonisme, qui existait entre les peuples de ces différentes sociétés, et en particulier entre leurs élites. Japonais, Indiens, ou Américains, par exemple, trouvèrent de plus en plus dans le sentiment d’identité culturelle, religieuse, ou nationale dont ils avaient hérité, la force nécessaire pour affronter les graves défis que leur posait une économie désormais mondialisée, et plus particulièrement ceux posés par l’impérialisme européen. Le paradoxe voulant que les forces planétaires et les forces locales se soient « cannibalisées » ou nourries mutuellement, pour reprendre un terme employé par le théoricien social Arjun Appadurai, est bien connu de tous ceux qui travaillent actuellement dans le domaine des sciences sociales."

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction

La Naissance du monde moderne, 1780-1914 : introduction: "Ce livre décrit par conséquent l’émergence, à l’échelle planétaire, d’un phénomène d’uniformisation qui toucha les États, la religion, les idéologies politiques et la vie économique, à mesure de leur développement tout au long du XIXe siècle. L’apparition de cette uniformité ne fut pas seulement visible au niveau des grandes institutions comme les Églises, les cours royales ou les systèmes judiciaires. Elle devint également palpable dans ce que ce livre appelle « les usages relatifs au corps », à savoir la manière dont les gens s’habillent, s’expriment, mangent, ou gèrent leurs relations au sein de la famille."

Le projet grands singes, par Florence Burgat (Le Monde diplomatique)

Le projet grands singes, par Florence Burgat (Le Monde diplomatique): "Une telle déduction (posséder la raison pour se voir reconnaître des droits) fut d’emblée contestée, puisqu’elle place le fondement de la considération morale dans des compétences intellectuelles et non dans la capacité à pâtir. Les études scientifiques viennent du reste conforter cette posture, en évaluant les animaux à l’aune de l’humain, les notant en fonction de leurs aptitudes à s’approcher de nos combien plus hautes performances ? Ainsi place-t-on des singes devant des ordinateurs pour voir de quoi ils sont capables...

Dans cet esprit, depuis 1993, de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Peter Singer, professeur de bioéthique à l’université de Princeton (Etats-Unis), ont développé le Projet grands singes, aujourd’hui préconisé par les défenseurs des animaux à travers le monde. Ce projet se fonde sur l’idée que les gorilles, orangs-outangs, chimpanzés, bonobos ont une intelligence et une sensibilité proches de l’homme, ce qui les différencie des autres animaux. Aussi méritent-ils, selon ce projet, de bénéficier de droits, certes inférieurs à ceux de l’être humain, mais supérieurs à ceux des autres animaux."

Le projet grands singes, par Florence Burgat (Le Monde diplomatique)

Le projet grands singes, par Florence Burgat (Le Monde diplomatique): "Face à l’évidente continuité des êtres vivants, si magnifiquement pensée par Aristote, il fallut se donner les moyens d’effectuer une rupture radicale entre l’homme et ces vivants qui, comme lui, viennent au monde, souffrent, vieillissent et meurent.

On pourrait résumer les choses par le syllogisme suivant : seuls les êtres de raison ont droit à la justice et à la bienveillance ; or les animaux sont dépourvus de raison ; il n’y a donc envers eux ni justice ni injustice. Cet argument, énoncé pour la première fois par les stoïciens, pose que les devoirs de justice sont circonscrits à la seule humanité. Cela signifie qu’aucun des éléments de proximité entre l’homme et les animaux dégagés par les savoirs positifs (proximité génétique, « protoculture », capacités langagières complexes, dispositions à l’empathie...) ne pourra remettre en cause une frontière invisible, non localisable, qui permet de discriminer l’ordre des fins (l’homme) de l’ordre des moyens (le monde animal)."

Le projet grands singes, par Florence Burgat (Le Monde diplomatique)

Le projet grands singes, par Florence Burgat (Le Monde diplomatique): "Il n’est point d’espèces animales qui échappent à la mainmise quasiment toujours mortelle de l’homme : il les élève de manière industrielle, les chasse, piège leurs territoires, les pêche, conduit sur elles toutes sortes d’expériences, les enferme dans des zoos, les dresse à exécuter des numéros de cirque, se plaît encore à les faire combattre... Faut-il rappeler que l’on tue par an, en France, environ un milliard quatre-vingt millions de mammifères et d’oiseaux et quatre cent dix mille tonnes de poissons ?"

29.1.07

Rêve d’une « seconde indépendance » sur le continent africain, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique)

Rêve d’une « seconde indépendance » sur le continent africain, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique): "Trois lignes de fracture permettent de se rendre compte de ces ambivalences. D’une part, les thérapies néolibérales et leur échec ont, dans la plupart des pays, fait éclater le contrat social issu des indépendances (l’Afrique subsaharienne est la seule partie du monde en développement où l’espérance de vie à la naissance est retombée à son niveau du début des années 1970 et reste inférieure à 50 ans). Cet événement déstabilisateur constitue un puissant moteur pour des conflits sociaux ou des tensions armées. Dans le même temps, il provoque un débat, encore brouillon, sur la nécessaire redéfinition des politiques économiques. D’autre part, la démocratisation a élargi l’espace politique, mais de manière incomplète. En particulier, la tutelle des institutions financières internationales (IFI) fait planer un doute sur la légitimité des autorités publiques. Enfin, l’émergence de nouvelles puissances africaines ou étrangères redessine la géopolitique du continent, laissant entrevoir une possible redistribution des cartes."

Rêve d’une « seconde indépendance » sur le continent africain, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique)

Rêve d’une « seconde indépendance » sur le continent africain, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique): "Durant la décennie charnière 1989-1999, la plupart des modèles politiques et économiques qui structuraient l’Afrique ont été remis en cause. La fin de l’affrontement Est-Ouest a éteint des conflits attisés de l’extérieur, comme en Angola ou au Mozambique ; les régimes cryptocommunistes ont disparu ou se sont convertis à l’économie de marché (Bénin, Ethiopie, par exemple) ; la destruction de l’apartheid en Afrique du sud a scellé la fin symbolique des régimes coloniaux ; le multipartisme s’est répandu de la République démocratique du Congo (RDC) au Cap-Vert, en passant par le Kenya ou la Centrafrique...

On peut envisager ces évolutions de deux manières. Côté pile : les tensions de toutes sortes que ce type de bouleversement occasionne immanquablement et dont le continent donne tous les jours des exemples. Côté face : l’espace politique et social, la marge de manœuvre qu’ouvre par définition la remise en cause de tout statu quo. C’est-à-dire que chaque drame ou danger a pour envers un espoir ou la possibilité d’un changement positif."