28.1.11

La première de ces représentations faussées est la méconnaissance de la force de l’Internet. Dans nos vieilles démocraties et surtout dans les dictatures, les médias classiques sont plus visibles mais de moins en moins crédibles. Notre monde est passé, en une décennie, d’un univers dominé par des entreprises médiatiques de grande taille à un éclatement de la circulation de l’information, une implosion entropique, au bénéfice de la multiplicité des sites Internet, des blogs. Ce phénomène ressemble, à l’échelle planétaire, à l’explosion des radios libres en France au début des années 80, qui a rompu le monopole des grandes radios de l’époque.
On est passé d’une logique de tuyaux à une logique de réseaux, à un univers totalement éclaté, qui a permis, en Tunisie, de contourner la censure, de faire circuler l’information et de partager une analyse collective de la situation par la société civile tunisienne. Il n’y a donc plus quelques leaders charismatiques, mais une multiplicité de points de vue, de blogueurs, de journalistes auto-proclamés. Cette communauté a construit, devant l’obstacle que représentait Ben Ali et ses sbires, une stratégie de combat commune, partagée et réactive. Elle était totalement inconnue de nos experts et journalistes français.
En effet, l’univers médiatique permet à une minorité, en se cooptant mutuellement, grâce à des codes sociaux partagés, de rester « entre soi ». Cette minorité ignore le bouillonnement de l’Internet et n’a donc pas toujours conscience de la révolution en cours. Le village planétaire de Marshall McLuhan ne concerne plus uniquement les élites, il s’est élargi à toutes les populations lettrées, assez armées à la fois intellectuellement et du point de vue informatique pour participer au village global, en Tunisie, comme partout dans le monde.